Olivier Choinière |

“Projects don’t go wrong, they start wrong”

Les mégaprojets constituent l’un des sujets d’actualité socioéconomique les plus polarisants, que ce soit au Québec (pensons au tunnel Québec-Lévis ou au REM de l’Est) ou ailleurs en Occident (les Jeux Olympiques de Paris ou le California High-Speed Rail en guise d’exemple).

C’est dans ce contexte que Bent Flyvbjerg, professeur à Oxford et expert en mégaprojet, et Dan Gardner, journaliste canadien, ont récemment publié un livre aux accents de bestsellers intitulé How Big Things Get Done.

Cet ouvrage est le fruit d’un minutieux travail d’analyse basé sur des données provenant de plus de 16 000 mégaprojets. Cet examen révèle notamment que seulement 0,5 % des projets répertoriés ont respecté la fameuse triple contrainte, résultat qui a permis aux auteurs d’énoncer la Loi du triangle de fer des mégaprojets, soit : “over budget, over time, under benefit”.

À l’aide de nombreux exemples, les auteurs dissèquent tour à tour les principales causes qui ont contribué à forger la Loi du triangle de fer des mégaprojets, notamment :

  • agir avant de penser, soit une volonté de réduire la durée de la phase de planification au minimum afin de débuter hâtivement le projet. De ce fait, les risques, les enjeux et les alternatives, voire la raison d’être du projet ne sont pas examinés avec rigueur;
  • les cycles de rupture et de réparation, soit une conséquence du manque de planification, car les projets se heurtent à des enjeux qui ont été ignorés ou qui n’ont pas été sérieusement analysés lors de la phase de planification;
  • une sous-utilisation des leçons apprises, soit une inattention récurrente aux écueils de projets similaires du passé, car les promoteurs pensent souvent – à tort – que leur projet est unique;
  • l’escalade des engagements, car les investissements initiaux permettent souvent de justifier les dépenses excédentaires;
  • l’optimisme excessif qui conduit à des prévisions irréalistes, à l’absence de scénarios alternatifs et au déficit de mesures d’atténuation pour faire face aux inévitables surprises;
  • le comportement stratégique lorsque les coûts sont délibérément sous-estimés afin que le projet soit accepté dans son intégralité par les décideurs.

En plus de ces causes, les auteurs remarquent que la plupart de ces initiatives engendrent des dépassements de coûts extrêmes comme en témoignent les projets de gestion des déchets nucléaires (surcoût moyen de 238 %) ou l’organisation des Jeux Olympiques (surcoût moyen de 157 %). En somme, lorsqu’un mégaprojet doit affronter des difficultés non planifiées, les conséquences sont exacerbées.

Cette galerie des horreurs se termine toutefois sur une note plus positive, puisque les auteurs émettent plusieurs recommandations, dont les plus significatives pour un.e gestionnaire de projet sont :

  • la modularité et la reproductibilité, soit un plaidoyer en faveur d’une approche itérative basée sur l’expérience afin de surmonter le syndrome de « l’éternel débutant » caractéristique des projets uniques comme l’organisation des Jeux Olympiques. Les mégaprojets les plus performants (ex. : parcs éoliens et solaires) suivent d’ailleurs cette recette à succès;
  • un plaidoyer pour la planification active, soit un appel à résister à la tentation de débuter un projet le plus rapidement possible (le syndrome de la première pelletée de terre) afin de procéder à une analyse exhaustive des risques et éviter, de ce fait, de tomber dans un cycle de rupture et de réparation;
  • ne pas hésiter à refuser la gestion d’un projet trop périlleux, surtout si la période de planification est escamotée;
  • être conscient que nous sommes parfois le plus grand risque d’un projet, car l’optimisme excessif et la propension à rejeter les leçons du passé qui ne cadrent pas avec la vision romantique du début de projet favorisent parfois l’aveuglement volontaire.

Afin d’illustrer leur propos, les auteurs présentent des modèles de réussite, que ce soit le Musée Guggenheim à Bilbao, le Métro de Madrid, le parc éolien de Hornsea, sans oublier l’iconique Empire State Building.

Comme toute œuvre académique, ce livre n’est toutefois pas à l’abri de certaines critiques. À titre d’exemple, notons la recommandation des auteurs d’utiliser des technologies éprouvées afin d’éviter que la volonté d’innover entraîne des détails et des dépassements de coûts importants. Or, cette suggestion peut être justement perçue comme un frein à la créativité pourtant bien nécessaire dans certains contextes comme la lutte aux changements climatiques. Également, nous ne pouvons passer sous silence le fait que Flyvbjerg met à l’avant-scène ses projets à succès (en tant que consultant), sans toutefois partager ses leçons apprises lors d’initiatives moins heureuses, comme le souligne The Economist en évoquant le projet de train à grande vitesse HS2 en Angleterre, un exemple typique de mégaprojet infortuné pourtant ignoré dans le livre.

En somme, ce livre mérite une place dans la bibliothèque de tout décideur et gestionnaire de projet, car les meilleures pratiques et leçons apprises contenues dans cet ouvrage peuvent s’appliquer à tout projet, de la rénovation domiciliaire à l’exploration spatiale comme le sous-titre l’indique.

BIBLIOGRAPHIE

  • Flyvbjerg, B., & Gardner, D. (2023). How big things get done: the surprising factors that determine the fate of every project, from home renovations to space exploration and everything in between (First edition. ed.). Currency.
  • The Economist (2023, March 18). Mega Lowndown, 446 (9338).

À propos de l’auteur

Olivier Choinière

Olivier est professeur régulier en gestion de projet à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et chercheur affilié au Centre d’études en gouvernance de l’Université d’Ottawa. Il détient un doctorat en gestion publique de l’Université d’Ottawa ainsi qu’une maîtrise en administration publique de l’ÉNAP. Olivier possède expertise et expérience en gestion de projet, du changement et du risque ainsi qu’en gouvernance d’entreprise. Avant de joindre le milieu académique, Olivier a œuvré comme consultant pour le compte d’organisations publiques et privées au Canada et à l’international en plus d’avoir occupé un poste de cadre supérieur au sein du gouvernement fédéral.