Malgré que la routine soit souvent associée à quelque chose de monotone ou de routinier, rappelons-nous qu’elle est d’abord définie comme étant un processus ou une procédure. Un aspect intéressant de la routine est qu’elle fait partie intégrante du projet. En fait, le projet étant un générateur de nouveaux processus et de nouvelles procédures, il crée de nouvelles routines ce qui engendre le changement. Dans cette perspective, il devient captivant de mieux comprendre le phénomène de la routine en contexte de mise en œuvre de projet et son impact sur l’apprentissage et le taux de succès de mise en œuvre des projets.
Selon l’étape à laquelle nous observons la routine, elle prend différentes appellations. Prenons par exemple un travailleur qui effectue une même tâche sans réfléchir et qu’il ne peut y apporter aucun ajustement (M. Cohen, D. & Bacdayan, 1994; M. D. Cohen et al., 1996; Dosi, Teece, & Winter, 1992; Nelson & Winter, 1982). À ce stade, la routine est statique. Elle est par ailleurs très importante car elle constitut la mémoire de l’organisation. Plus précisément, elle reflète l’ensemble des processus et des procédures standards d’opération. La routine peut également être dynamique. Elle le devient lorsque le travailleur fait des ajustements à une routine statique. Lorsque cela se produit, le travailleur créé de nouvelles routines. Ainsi, chaque fois où le travailleur adapte un processus ou une procédure, il crée de nouvelles routines. C’est donc en période de création d’une nouvelle routine que cette dernière est qualifiée de dynamique (Feldman, 2003).
La routine génère de nouvelles connaissances et ce, qu’elle soit statique ou dynamique (Gitchenko, Boudarel, & Bary, 2014). En fait, lorsque le travailleur est en situation d’apprentissage soit en période d’intégration d’une nouvelle routine statique ou encore en situation d’adaptation d’un processus ou d’une procédure à son environnement, il apprend (Zollo & Winter, 2002).
Le contexte de mise en œuvre d’un projet est particulièrement sollicitant en termes d’apprentissage, et ce, par l’ensemble des travailleurs qui sont impactés. En effet, le travailleur est en situation d’apprentissage d’une panoplie de nouvelles routines, et ce, jusqu’au moment où il les a toutes intégrées. Autrement dit, ce n’est qu’au moment où il devient en mesure d’exécuter fluidement son nouveau processus de travail incluant toutes ses nouvelles routines et d’utiliser pleinement ses nouveaux outils que l’apprentissage se termine.
Selon la documentation et les outils remis lors d’une mise en œuvre de projet, l’apprentissage peut être facilitant, mais également pénible. Imaginez les difficultés d’apprentissage si la documentation n’offre pas une lecture précise des nouveaux processus et des nouvelles procédures. Pire encore, imaginez une mise en œuvre sans processus et procédures claires. Dans ce contexte, comment le travailleur pourrait-il arriver à exécuter ses nouvelles routines de travail? Peut-être avez-vous déjà vécu cette situation ou connaissez quelqu’un qui l’a vécue. Le manque de documentation, la précision de la documentation, des outils non performants ont des impacts majeurs sur le temps d’apprentissage du travailleur. Ce dernier peut même se rendre au point où il abandonne l’intégration de ses nouvelles routines de travail ou l’utilisation d’un outil voire même d’une application requise par le projet. Lorsque cette situation se présente, cela impacte grandement le taux de succès de mise en œuvre du projet. Songez à une situation où les travailleurs ne réussissent pas à faire fonctionner un outil, un logiciel ou mettre en place une nouvelle routine de travail. Pour éviter cette situation, n’hésitez pas à redoubler d’efforts lors de la préparation de la mise en œuvre d’un projet. Assurez-vous d’avoir toute la documentation requise pour chaque nouvelle routine exigée par le projet et soyez certain que les outils et les applications requises par le projet soient fonctionnels et performants. Le taux de succès de mise en œuvre de vos projets en dépend.
Bibliographie
Cohen, M., D., & Bacdayan, P. (1994). Organizational Routines Are Stored as Procedural Memory: Evidence from a Laboratory Study. Organization Science, 5(4), 554-568. doi: 10.1287/orsc.5.4.554
Cohen, M. D., Burkhart, R., Dosi, G., Egidi, M., Marengo, L., Warglien, M., & Winter, S. (1996). Routines and Other Recurring Action Patterns of Organizations: Contemporary Research Issues. Industrial and Corporate Change, 5(3), 653-698. doi: 10.1093/icc/5.3.653
Dosi, G., Teece, D. J., & Winter, S. (1992). Toward a theory of corporate coherence: preliminary remarks. Technology and enterprise in a historical perspective, 185-211.
Feldman, M. S. (2003). A performative perspective on stability and change in organizational routines. Industrial and Corporate Change, 12(4), 727-752. doi: 10.1093/icc/12.4.727
Gitchenko, H., Boudarel, E. M.-R., & Bary, R. (2014). Apprentissage et absorption en entreprise: Quelles conséquences pour la gestion des connaissances et l’innovation? .
Nelson, R., & Winter, S. (1982). An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambr. : Mass: The Belknap Press of Harv. Univ. Press.
Zollo, M., & Winter, S. (2002). Deliberate learning and the evolution of dynamic capabilities. Organization Science, 13(3), 339-351. doi: 10.1287/orsc.13.3.339.2780
À propos de l’auteur
Nancie Chevrette
Détentrice d’un baccalauréat en administration spécialisation finance, d’une maîtrise en administration des affaires et doctorante en management de projets, madame Chevrette a concentré sa carrière dans le milieu bancaire. Son parcours lui a permis d’accéder à divers postes à titre d’employé, de gestionnaire et de conseillère stratégique. Elle a œuvré principalement dans différents réseaux de distribution pancanadiens. Depuis quelques années, madame Chevrette travaille au sein d’équipes de projets. En 2016, elle a décidé d’entreprendre un parcours doctoral. Cette décision s’inscrivait autant dans la voie de son propre développement que dans un désir profond de produire de nouvelles connaissances entourant la gestion de projets. Les défis organisationnels en matière de performance étant toujours aussi nombreux, madame Chevrette conjugue maintenant sa carrière professionnelle avec celle de la recherche appliquée en gestion de projets afin de trouver des solutions concrètes aux problématiques réelles et actuelles auxquelles sont confrontées les entreprises.