En Europe, où la croissance globale des marchés est faible (moins de 1%), la concurrence est vive et la densité démographique élevée, les organisations ont dû rendre le parcours client plus fluide pour croître ou survivre. Cet article vise à partager mes observations et quelques bonnes pratiques pour aider à mieux amorcer les changements en cours au Québec. Certains secteurs, tel que l’hôtellerie, sont en avance en matière de gestion de leurs canaux d’interaction avec la clientèle. Cette approche peut inspirer d’autres secteurs souhaitant réaliser des projets d’amélioration de l’expérience client. Les organisations qui adopteront de tels projets avec une perspective globale seront plus pérennes que leurs concurrentes.
Selon le Groupe Forester, les organisations qui excellent dans la gestion de la relation client sont 3.8 fois plus rentables que celles qui ne s’en occupent pas. La chaîne Fairmont est un modèle en la matière, toujours selon le Groupe Forester1.
Qu’est-ce que l’expérience client ?
C’est l’impact agrégé de chaque interaction vécue par un client avec un produit, service, solution et message de marque d’une compagnie. L’expérience client existe depuis longtemps, Disney est fondé sur l’expérience client. Ce qui a changé c’est l’augmentation du nombre de points de contacts via plus de canaux de communication.
Qu’est-ce que cela peut donner ?
Après le renforcement des liens entre les canaux traditionnels et digitaux, une banque régionale Européenne a accru sa vente de comptes courants et de produits de prêts personnels de 25 % parmi tous ses canaux.
Une compagnie de télécom Européenne a vu un accroissement de 40 % de l’utilisation de ses services en ligne tout en réduisant le coût de 20 % et en augmentant la satisfaction de ses clients de 5 %.
Source: McKinsey
Note: dans le secteur des télécommunications, données de 2011. Similaire à Bell, Rogers, Vidéotron…
Le multicanal
Dans ce mode de fonctionnement si le client retourne son produit dans un magasin physique après l’avoir acheté sur le web, c’est compliqué, non prévu, désagréable pour lui et pour le personnel.
Dans le multicanal, les canaux de communication se font concurrence entre eux au sein de la même organisation. Le client est supposé être monocanal, c’est-à-dire qu’il est supposé faire son retour de marchandise dans le même canal que celui dans lequel il a acheté.
L’inconvénient, c’est une perte d’efficacité pour l’organisation et une expérience insatisfaisante pour le client, donc risque de moins de fidélité et risque de perte de part de marché,…
L’omnicanal
Lorsque le client se présente au magasin ou à l’agence physique, le conseiller peut voir sur sa tablette les achats antérieurs peu importe le canal, les visites sur le site web, les commentaires sur les réseaux sociaux et ses plaintes aussi… ce qui lui permet de donner un accueil personnalisé, de conseiller et de rendre le processus d’achat plus agréable.
Dans l’omnicanal, le client est au centre. Tous les canaux sont accessibles au client et connectés. Burberry offre ce genre d’expérience dans ses boutiques Européennes qui sont hyper-connectées (source : MCKinsey). Au Québec, Simons a emprunté cette voie avec sa carte de fidélité personnalisée.
L’avantage est que l’organisation est plus efficace dans sa façon de servir le client et la satisfaction du client qui se sent choyé augmente avec sa fidélité.
La structure de l’organisation ?
La composante technologique liée aux canaux de communication n’est pas la seule à devoir changer. La structure organisationnelle doit aussi s’adapter à cette nouvelle réalité.
Un mouvement de changement se produit dans le secteur financier. La structure de rémunération actuelle peut être un obstacle à ce mouvement s’il n’y a pas un leadership fort en faveur de la collaboration entre unités d’affaires (« Business Units »). Du point de vue de l’institution financière, il y a intérêt à ce que les unités d’affaires se réfèrent des opportunités d’affaires entre elles. Du point de vue de l’expérience client, c’est facilitant d’avoir un guichet unique où tous ses besoins financiers sont pris en considération. Un changement de culture organisationnelle est nécessaire pour implanter ce changement.
Un indicateur de degré de changement organisationnel est aussi la proximité du marketing, des ventes, du service à la clientèle et des TI. Dans le milieu manufacturier, il est encore fréquent que le service à la clientèle soit attaché aux opérations. C’est par l’intermédiaire des demandes d’informations et les plaintes des clients que les agents du service à la clientèle sont encore trop souvent informés des nouveaux produits/services mis en marché !
De beaux projets de changement technologiques et organisationnels en cours et à venir !
Le défi à relever
Le défi est que l’expérience client soit satisfaisante d’un bout à l’autre de la chaîne de produit/service et que ce soit rentable pour l’organisation ! Par exemple, le domaine hôtelier a documenté la suite des points de contacts avec le client. Un seul point de contact insatisfaisant peut gâcher toute l’expérience.
Source: EducauseReview
Trois points de contacts insatisfaisants ont été identifiés ci-dessus :
- Devoir attendre dans la file;
- Ne trouve pas la chambre;
- Ne comprends pas la procédure de départ (check out).
Source: Footprint design Consultancy
Dans le graphique ci-contre, l’enregistrement des vacances est satisfaisant. Le voyage l’est moins. L’accueil dans l’hôtel, les repas, l’accès à une bicyclette sont très satisfaisants. L’accès à une banque est très irritant. La plage est moyennement satisfaisante, tandis que les activités pour les enfants sont très appréciées.
Quand on mesure la satisfaction du client, il faut faire attention de ne pas se concentrer sur un seul service dont un gestionnaire est responsable. Je suis intervenue dans une organisation où un service avait mesuré la satisfaction de la clientèle à 98 % sans considérer les étapes avant et après. Malheureusement, cette statistique n’est pas significative du point de vue l’expérience client.
Créer de la valeur pour le client, c’est répondre le plus efficacement possible à son besoin. Le besoin du client est défini en l’écoutant, en posant des questions, en lui demandant de hiérarchiser ce qui est le plus important pour lui, en observant ce qui génère des plaintes,….
Les quatre principales attentes portent sur :
- Le coût : pas juste le prix, par exemple pour aller skier, cela coûte aussi le déplacement, le repas dans la station de ski et l’hôtel éventuel;
- Le confort (traduction de « convenience ») : la facilité de faire un retour;
- Les fonctionnalités;
- Les parties prenantes ou composante environnementale (ne compte actuellement que chez 15 % des consommateurs, mais va croître avec le pouvoir d’achat de la nouvelle génération).
Il est possible de créer de la valeur pour le client et de faire du profit pour l’organisation. Les hôtels, par exemple, soutiennent la cause environnementale en proposant de réutiliser les serviettes de bain et font des économies en même temps. Voir à cet effet, l’article fort bien fait de PWC.
Que faut-il considérer dans les réalisations omnicanal ?
- Segmenter la clientèle selon ses besoins, son utilisation des produits/services, son âge, son sexe, les canaux de communication utilisés, …. Il arrive qu’on établisse des persona, c’est-à-dire des stéréotypes de client qui permettent de faire des regroupements. On pourrait par exemple distinguer deux regroupements fondés sur les clients qui manquent de temps et ceux qui ont un budget limité. Un maximum de 4 à 6 catégories de clients devrait couvrir 80 % du volume d’affaires de l’organisation. L’exploitation du Big Data pour en faire du Business Intelligence.
- Faire un exercice d’empathie pour chaque segment de clientèle afin d’en approfondir la connaissance. C’est-à-dire, se mettre dans les souliers du client pour constater comment il vit l’expérience de chaque point de contact.
- Modéliser le parcours de ces clients. QIdentifier l’espace vide entre deux canaux générant des pertes pour l’organisation et de l’insatisfaction pour le client.
- Identifier les niches de croissance des ventes et des profits parmi ces constats. Collaborer avec les clients les plus prometteurs. Ajuster la stratégie de prix et la gestion de la promotion. Investir de façon stratégique. Optimiser la mise en marché. Être agile avec les données (du « Big Data » vers la « Business Intelligence »), construire des fonctionnalités de bout en bout !
- Laisser une marge de manœuvre au personnel de première ligne avec des limites claires pour assurer la gestion des plaintes en fonction des inconvénients subis par le client.
- Permettre une interaction directe avec accès au clavardage. Les clientèles jeunes font plus confiance à l’écrit qu’aux paroles. (Source : FIDO – conférence d’octobre 2015 « Service à la clientèle 360 » organisée par le groupe les Affaires).
- Faire des enquêtes fréquentes pour bien comprendre la clientèle, pour mesurer sa satisfaction (Sondage, Client mystère, Gestion de communautés sur les réseaux sociaux,…)
- Former et coacher les gestionnaires de premier niveau et le personnel de première ligne. L’attitude par rapport au client qui se plaint doit être empathique, alors qu’autrefois on soupçonnait systématiquement le client de vouloir ”profiter” (ex. dans le secteur des assurances). Être polyvalent: pouvoir clavarder ou répondre au téléphone. (Fido et Videotron ont développé des pratiques exemplaires).
- Avoir les capacités administratives sufisantes en seconde ligne.
- Conserver le magasin ou la succursale physique qui permet une vente en deux temps, c’est-à-dire visiter le commerce puis acheter par le web, ou l’inverse.
Source : Service Design for Business (ISBN 978-1-118-98892-3)
Une compagnie mobile Nord-Américaine constate que 35 % des changements administratifs relatifs à des données de facturation se font par voir digitale. Seulement 24 % des clients vont utiliser les canaux digitaux quand il s’agit de régler un problème technique. Plus de la moitié des clients préfèrent encore régler les problèmes administratifs en personne ou via le téléphone. Face à une même situation de clientèle différents parcours sont possibles pour aboutir à une même solution. (Source : Mckinsey)
État des lieux par secteur d’activité au Québec | ||
Champions | En changement | À la traine |
Domaine hôtelier
Compagnies de téléphonie cellulaire |
Secteur du détail (Simons)
SAQ Secteur financier Gouvernements |
Les PME manufacturières
En général tout ce qui concerne le B to B |
Les métriques sont la satisfaction des clients, la loyauté, la conscience de la marque, le taux de renouvellement, la valeur à vie du client (la somme des achats récurrents du client fidèle) et la rentabilité à moyen terme.
Quelles sont les étapes à considérer dans ce type de projet ?
Cette section intègre mes observations et les recommandations du groupe Mc Kinsey pour la conduite d’un projet de transformation.
Les prérequis au niveau de l’organisation :
- Nommer un responsable de l’expérience client « product owner » qui se situe au-dessus ou en dehors des unités d’affaires (« cross-functional »);
- Obtenir l’appui formel de la haute direction;
- Identifier clairement les exigences d’affaires et les objectifs à atteindre;
- Choisir un gestionnaire de projet expérimenté qui a du leadership et qui utilise une approche Agile pour réduire la durée des cycles de changement et se donner de la flexibilité;
- Soutenir les ressources internes par de la communication et de la formation/coaching;
- Communiquer dans un mode de collaboration avec la clientèle faisant l’expérience du changement;
- Favoriser la synergie entre les parties prenantes : la direction des opérations, le service à la clientèle, les ventes, les communications et les TI.
Avant de vouloir tout informatiser, établir un diagnostic de l’existant en portant attention aux irritants pour le client. Il est plus facile d’implanter ce genre de changement dans les petites organisations que dans les grandes entreprises(voir l’article de la BDC). Pour les grandes organisations, il semble sage de commencer par un projet pilote portant sur un produit/service représentant un risque limité. Lorsque le prototype sera au point, il pourra se propager aux autres produits/services.
Réaliser le projet
- Débuter par l’identification des segments de clientèle (se mettre dans leurs souliers et observer leurs comportements en cartographiant le parcours de ces segments).
- Repérer les points d’insatisfaction qui créent une perte de valeur pour l’organisation et les clients.
- Établir une liste priorisée d’initiatives pragmatiques qui vont libérer la valeur coincée entre les canaux ou les unités d’affaires.
- Envisager les moyens technologiques et humains pour remédier à ces fuites en tenant compte du comportement des clients.
- Sélectionner et prioriser ces « fonctionnalités » les plus payantes à implanter.
- Utiliser un processus agile pour tester les changements (par itérations successives et efficaces).
- Mesurer les résultats au fur et à mesure.
- Ajuster les opérations.
Conclusion
Un projet qui vise la personnalisation de l’approche client par segments, combinée à la multiplication des canaux de communication, rend la gestion de l’expérience client plus complexe que jamais. Un tel changement est nécessaire à cause de la concurrence mondiale et ne peut s’improviser. Nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait en Europe et aux États-Unis, en s’ajustant aux particularités de la clientèle Québécoise et à son nombre pour que ce soit aussi rentable dans notre marché pour nos organisations. Un projet bien mené livrera de la valeur pour les clients et pour l’organisation.
Présentation de l’auteure
Corine Markey, BAA, PCC, P2P, CSSBB, LM Service Conseil CM
Détentrice d’une licence économiques appliquées (BAA), d’une certification de coach professionnelle certifiée (PCC), de gestion de projet (P2P) et Lean 6 Sigma Black Belt, Corine Markey cumule plus de 25 ans d’expérience comme gestionnaire, consultante, formatrice et coach dans les domaines de la gestion, des ressources humaines et de la formation.
Via son entreprise Service Conseil CM, Corine Markey intervient dans les PME ainsi que dans la grande entreprise publique et privée. Ses services s’adressent aux personnels en contact avec la clientèle, les gestionnaires et les propriétaires de PME. En travaillant sur les objectifs à atteindre, le plan d’actions, les méthodes de travail et sur la qualité des relations, elle favorise un engagement et des résultats supérieurs ! Ses clients lui reconnaissent un talent de résolution de problèmes et de vulgarisatrice pragmatique. Ceci lui permet de travailler avec l’équipe en place pour accompagner le changement !