Du comportement politique à la compétence politique
Lorsqu’on parle de politique, beaucoup perçoivent une attitude « déplaisante sur le plan personnel et dommageable pour l’organisation » (Pinto, 2000, p.1). Pourtant, le comportement politique[1] est omniprésent dans les pratiques humaines (Block, 1991). Le comportement politique équivaut à la tentative d’influence à l’aide du pouvoir pour des objectifs personnels cachés (Crozier et Friedberg, 1977). Le recours au comportement politique n’est pas nouveau dans l’organisation, mais simplement un ajustement de l’usage de ces attitudes afin de mobiliser les individus autour d’un intérêt commun, d’atteindre des résultats efficaces et pérennes. Le comportement politique ainsi déployé devient alors une compétence politique ou une habileté politique[2] (voir figure 1). On peut donc recourir aux compétences politiques, à condition d’avoir des intentions moralement et éthiquement nobles et louables, loin de toute manipulation et de toute action coercitive du point de vue professionnel. Il s’agit selon Leyrie (2013) d’une utilisation stratégique de la compétence politique ou des compétences politiques positives d’après Block (1991).
Le projet comme entité politique
En gestion de projet, les compétences politiques sont une composante de la gestion des parties prenantes. La dimension politique se manifeste dans les projets par une « confrontation permanente de logiques et d’objectifs potentiellement différents » (Leyrie, 2013, p.30) de la part des parties prenantes. En effet, le travail en mode projet est naturellement marqué par sa limite temporelle et implique plusieurs composantes pour l’atteinte des résultats, en l’occurrence la responsabilité, la libre expression, l’autonomie, l’interdépendance, l’imprévisibilité, l’ambiguïté, le souci de cohésion, l’affectation des rôles entre les parties prenantes (Leyrie, 2013). Le déploiement de ces attributs n’est pas sans conséquence sur les comportements des acteurs en raison de leurs intérêts divergents et contradictoires. En effet, face à leur nombre significatif, les tensions générées par leurs dynamismes relationnels, les acteurs projet sont amenés à déployer des comportements politiques pour satisfaire leurs intérêts personnels. En contexte de conflit, ce comportement politique est suscité par une dose significative d’intentionnalité, puis se traduit par l’influence liée à un pouvoir potentiel détenu par l’individu. Le projet est alors considéré, au même titre que l’organisation, comme une entité politique (Leyrie, 2013).
Avoir recours aux compétences politiques en contexte de turbulence dans le projet
Des compétences moins techniques sont requises de la part des gestionnaires pour gérer les conflits et les situations problématiques. Ces dernières, couplées aux imprévisibilités dues aux influences informelles et latentes nécessitent une solution efficace pour maintenir graduellement l’engagement des parties prenantes. En ce sens, le gestionnaire de projet devra faire preuve de bon sens (Ferris et al., 2007), en plus de son intelligence y compris émotionnelle et ses expertises managériales. Les compétences politiques vont au-delà des simples stratégies de cohésion sociale comme la communication. Les habiletés stratégiques politiques renforcent ainsi le leadership dans le projet en réponse à la complexité inhérente au nombre croissant des parties prenantes, la diversité de leurs intérêts versus les différents enjeux de pouvoirs (Leyrie, 2013). Pinto (2000) l’a démontré, en présence et sous l’influence des personnes aptes à l’usage du pouvoir et des « tactiques » politiques, le projet détient des fortes chances de réussir.
Références bibliographiques
Block, P. (1991). The empowered manager: positive political skills at work (1st ed.). Jossey Bass
Christophe Leyrie (2013). Étude exploratoire de la gestion politique des parties prenantes dans un projet : vers une compétence collective. Thèse de sciences en gestion, Université de Lyon Jean Moulin
Crozier, M. et Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système. rééd. Seuil.
Ferris, G. R., Treadway, D. C., Perrewé Pamela L, Brouer, R. L., Douglas, C., et Lux, S. (2007). Political skill in organizations. Journal of Management, 33(3), 290–320.
Pfeffer, J. (1981). Power in organizations. Boston: Pitman.
Pinto, J. K. (2000). Understanding the role of politics in successful project management. International Journal of Project Management, 18(2), 85–92.
[1] Le comportement politique est compris ici l’utilisation de la politique dans les actions posées.
[2] Le comportement politique devient une compétence politique lorsqu’il a pour finalité, des objectifs éclairés, l’atteinte de résultats efficaces dans le milieu professionnel.
À propos de l’auteur
Ingrid Avila TIOMO est doctorante en management de projets à l’Université du Québec à Chicoutimi et membre étudiant du Laboratoire d’études multidisciplinaires en gestion de projets. Elle a travaillé à titre de responsable de projet, consultante dans le domaine des systèmes d’information et du digital en général pour plusieurs entreprises en France. Elle est également responsable de l’agence digitale Ingrid Avila.
Ses intérêts de recherche portent sur la dimension sociale des projets, les défis du gestionnaire de projet contemporain et la complexité de projet. Son travail de recherche est centré sur les compétences sociales nécessaires aux parties prenantes pour un engagement permanent et pérenne dans les projets complexes.