Rappel
Dans l’article précédent, portant sur la conférence L’intelligence émotionnelle au cœur de la complexité dynamique du projet, présentée par Philippe Boigey et Joëlle Bouchard, dans le cadre du dernier colloque du PMI Lévis-Québec, nous avons abordé les notions en lien avec la complexité dynamique de l’intelligence émotionnelle collective en gestion de projet.
Précisons également que ce système est non linéaire, contrairement à ce que proposent les programmes de planifications en gestion de projet. Plus l’état émotionnel collectif est favorable, plus l’équipe aura tendance à accepter une pression, ou une surcharge, sans que son moral soit trop affecté. Toutefois, dans l’état inverse, tous les phénomènes présentés dans le schéma de l’article précédent seront exacerbés.
Ce dernier article illustrera comment l’intelligence émotionnelle de l’équipe peut être intégrée afin de limiter les impacts sur l’état d’avancement du projet, en présentant un cas réel, issu d’une entreprise québécoise, ainsi que la conclusion, provenant de la recherche de Philippe Boigey et Joëlle Bouchard.
L’application de l’intelligence émotionnelle collective
Il existe deux types de modèles sur lesquels nous pouvons appliquer l’intelligence émotionnelle collective (IEC).
Le premier est un modèle de simulation « prototype » qui fonctionne relativement bien, pour des projets de taille moyenne et d’un degré de complexité relativement élevé. Ce modèle propose d’intégrer l’IEC, selon les divers niveaux, sur une seule phase du projet, ce qui permet d’observer comment celui-ci sera impacté.
Pour ce faire, il s’agit d’extraire les données historiques d’un projet (via le logiciel MS Project par exemple) et de les intégrer au simulateur, ce qui permet de les comparer avec les modèles de simulation et les algorithmes développés. Ainsi, il est possible d’identifier ce qui affecte le comportement structurel du projet et permet également de cibler ce qui pose problème. En plus de mettre en lumière les éléments qui pourraient avoir un impact sur les décisions que devrait prendre le gestionnaire de projet. Advenant que l’on identifie un système en équilibre précaire, il est possible d’ajuster les paramètres ici et là, pour ainsi maintenir une certaine contrôlabilité du projet.
Dans le second modèle, il est possible d’affecter un niveau d’intelligence émotionnelle spécifique à chaque phase du projet. S’il est possible de prendre une mesure en amont, il sera possible d’établir un état émotionnel pour chacune des phases. Il sera ensuite possible d’observer comment cet état initial impactera les phases subséquentes. Par le fait même, on pourra voir à quel niveau se situe les problèmes, comment les anticiper et quels en sont leurs coûts, autant émotionnels que financiers.
Cadre général de la recherche
Le cadre général de la recherche est schématisé comme ceci :
Source : Philippe Boigey, 2022
En débutant au centre à gauche, on y retrouve le niveau émotionnel individuel, selon la perception du leader de projet. Ce dernier vient statuer sur comment le niveau émotionnel individuel affectera le comportement à l’interne, mais aussi quel sera l’impact des variables externes. À savoir, comment affecteront-elles chacun des membres de l’équipe et comment ces effets se répercuteront-ils sur l’ensemble des collaborateurs?
L’environnement (les données externes et les données organisationnelles), de son côté, affecte les individus individuellement, mais aussi collectivement. Ce sont ces effets qui amèneront le groupe à développer une intelligence collective.
Une fois consolidées, ces données permettront de dégager des variables qui pourront être collectées afin de développer ou d’atteindre un certain niveau d’intelligence émotionnelle. Ces variables seront liées à la fois sur les notions de continuum plaisir/déplaisir et d’excitation (basé sur les travaux de Ferrada et de Russell, 2017).
Les trois états individuels ou collectifs sont les suivants :
- Positif : Notion d’excitation, de nouveauté, travailler en équipe, très grande ouverture, etc.
- Neutre.
- Négatif : Deux variables centrales : la frustration et la dépression.
En mesurant l’écart entre ces différentes composantes de l’équipe, il sera possible de calculer l’intelligence émotionnelle de l’équipe, qui sera intégrée directement aux modélisations. On parle ici de « l’informatique affective », qui repose sur l’intelligence artificielle afin de calculer certaines probabilités.
Lorsque les informations sont récupérées et le niveau d’intelligence émotionnelle identifié, les chercheurs intégreront les données (paramètres d’entrées) du projet, qui permettront d’alimenter les simulateurs. Les résultats qui vont en ressortir viendront rétroagir sur les dimensions individuelles et collectives. Il sera ensuite possible d’identifier comment contrecarrer certaines problématiques et prendre les bonnes décisions, par exemple, en ajoutant des ressources ou en modifiant un paramètre donné. Une fois ces modifications effectuées, les diverses décisions seront testées dans un environnement sécuritaire et contrôlé, afin d’en valider les effets, pour ensuite les intégrer dans des projets réels.
Comme les tests reposent sur des tendances, il est difficile de savoir si les événements vont bel et bien se produire.
En résumé, le processus de la recherche est défini comme suit :
- Collecter les ensembles d’informations et les variables émotionnelles;
- Intégration des données RH concernant les projets;
- Traiter et assimiler les données en y ajoutant de nouvelles informations;
- Intégration et simulation des projets;
- Analyse des résultats et recommandations.
Pour conclure, l’intelligence émotionnelle collective peut être exploitée par de nouvelles approches innovantes. Elle occupe une place de plus en plus importante en gestion de projet, en raison des perspectives et des bénéfices qu’elle offre afin d’améliorer la performance du projet. Il y a peu de travaux sur la modélisation systémique, mais elle pourrait devenir une voie de recherche pertinente dans un avenir très proche.
À propos de l’auteur
Mathieu Dupré est détenteur d’un Baccalauréat en Psychologie (UQTR), d’un Certificat en CyberEnquête (Polytechnique Montréal) et actuellement étudiant de deuxième année à la Maîtrise en Gestion de Projet (UQAR). Il travaille auprès d’une institution financière depuis 9 ans et a notamment occupé des postes en lutte au blanchiment d’argent et en intelligence d’affaires. Il a ensuite agi comme Responsable de Produit sur les projets de maintenance des outils internes et d’une solution innovante en matière de sensibilisation en sécurité. Il œuvre actuellement à titre de Responsable de Produit pour des solutions en lien avec le programme de Menaces Internes.