Mathieu Dupré |

Rappel

Dans l’article précédent, portant sur la conférence L’intelligence émotionnelle au cœur de la complexité dynamique du projet, présentée par Philippe Boigey et Joëlle Bouchard, dans le cadre du dernier colloque du PMI Lévis-Québec, nous avons abordé les notions visant à savoir comment tirer profit des émotions positives, en limitant les impacts négatifs et comment faciliter la prise de décision dans le fondamental intérêt du projet.

Ce deuxième article illustrera une mise en pratique de l’intégration dynamique de l’intelligence émotionnelle en présentant un cas réel dans une entreprise québécoise, provenant de la recherche de Philippe Boigey et Joëlle Bouchard.

L’intégration dynamique de l’intelligence émotionnelle collective en gestion de projet

Il faut mentionner d’entrée de jeu que les organisations sont de plus en plus sensibilisées à miser sur une stratégie fondée sur l’intelligence émotionnelle. De ce fait, la recherche que nous présentent les conférenciers porte sur une entreprise manufacturière du Saguenay. Il s’agit d’une entreprise mature, qui valorise son capital humain et qui investit grandement dans le développement et l’épanouissement professionnel de ses employés. La haute gestion prône qu’il est plus économique de maintenir des employés en poste en investissant dans leur valorisation et leur bien-être, que de les laisser partir pour d’autres entreprises.

C’est de là que vient l’intérêt de cette organisation d’utiliser l’intelligence émotionnelle comme levier, afin de transformer ses façons de faire et ainsi améliorer la performance de ses projets et assurer sa pérennité.

Philippe Boigey et Joëlle Bouchard ont donc obtenu un mandat visant à améliorer la performance des projets de cette entreprise, en intégrant dynamiquement l’intelligence émotionnelle collective à chaque étape du projet.

Le projet

Il s’agit d’une organisation innovante et pour laquelle, intrinsèquement, la réussite est humaine et collective. Elle dénote également l’importance de pouvoir intégrer l’ensemble des collaborateurs, quel que soit son niveau, dans la démarche globale.

Le projet se déroule sur une période de 24 mois, en multiphases et pour lequel le démarrage opérationnel est prévu pour 2024.

  • La phase 0: Consiste en un projet de ressources humaines centré sur le développement de l’intelligence émotionnelle organisationnelle. Il vise l’ensemble de l’entreprise et consiste à connaître l’état d’esprit dans lequel un employé donné se présente au travail en début de journée.
  • La phase 1 : Consiste à rationaliser les processus de gestion de projet et d’harmoniser les pratiques. Il faut donc rationaliser l’ensemble des projets de l’entreprise, qui en gère entre 400 et 500 annuellement, en tenant compte que chaque demande est unique et ne sera pas forcément reproduite et de ce fait, devra se réinventer à chaque fois, et ce très rapidement.
  • La phase 2: Consiste à centraliser les données liées aux projets. Il faut donc mettre en place un entrepôt de données (data warehouse) dans lequel seront consolidés les indicateurs utilisés qui permettront d’affiner les résultats liés aux ressources. Les données sont autant financières qu’en lien avec les ressources humaines.
  • La phase 3 : Consiste à développer les modèles avancés de simulation de projet. Il s’agit d’un prototype opérationnel actuellement en développement.

Comprendre la complexité dynamique du projet

Le projet est un processus social complexe et consiste en soi, en une aventure humaine. Le schéma ci-dessous vous guidera dans la compréhension de ce processus. Débutons au centre, où se trouvent les encadrés des tâches.

Source: Version adaptée par les auteurs à partir des travaux de Lyneis et Ford en 2007

On y retrouve donc un certain nombre de tâches à effectuer. Au fur et à mesure que celles-ci sont complétées, le stock des tâches restantes à faire diminue, cela va de soi. Cependant, on oublie souvent lors de la planification que les estimations sont effectuées dans une optique que le travail sera terminé à 100 %, ce qui est faux! Jamais une tâche ne sera accomplie avec une qualité de 100 %. Si par exemple, la qualité est de 95 %, il restera toujours un 5 % à faire. De ce fait, ceci créera un ensemble de tâches à refaire qui engendrera une boucle constante.

Le projet, potentiellement, peut ne pas être réalisé dans la complétude de ses tâches à la date prévue. Ce qui créera un delta, ou un écart, entre les tâches terminées et celles qui sont à refaire. Ces dernières prennent également du temps à recommencer. Aussi, il est possible qu’un certain délai soit nécessaire avant que les tâches à refaire soient découvertes.

Continuons la progression dans le schéma. En suivant les flèches bleues de gauche à droite, on y observe un délai d’exécution affecté par une date d’achèvement planifiée. Une pression calendaire sera créée si le projet vient à prendre du retard. Par le fait même, cette pression aura un impact sur la qualité des tâches livrées, représentées par les flèches violettes.

Cette pression calendaire impactera donc le moral des travailleurs et entraînera une rotation du personnel qui pourra amener des heures supplémentaires, des nouvelles affectations au projet, de l’ajout de travail à effectuer, etc. Cette portion est représentée par les flèches vertes qui viennent boucler le système dans lequel tout interagit sur chacune des parties.

Passons rapidement sur les flèches rouges restantes. Il s’agit de la progression perçue et des changements demandés par le client qui créent du travail hors séquence, ou de la parallélisation. Ce travail viendra lui aussi affecter la qualité et la productivité. Ce qui viendra impacter les tâches terminées.

Ce modèle explique bien ce que l’on vit de manière consciente ou non, au quotidien dans les projets. La question qui se pose maintenant et qui sera abordée dans le prochain article est de savoir : comment l’intelligence émotionnelle de l’équipe peut être intégrée afin de limiter les impacts sur l’état d’avancement du projet?

Références

Lyneis, J. M., and Ford, D. N., 2007. « System dynamics applied to project management: a survey, assessment, and directions for future research ». System Dynamics Review, 23, 2-3, p. 157-189.

À propos de l’auteur

Mathieu Dupré

Mathieu Dupré est détenteur d’un Baccalauréat en Psychologie (UQTR), d’un Certificat en CyberEnquête (Polytechnique Montréal) et actuellement étudiant de deuxième année à la Maîtrise en gestion de Projet (UQAR). Il travaille auprès d’une institution financière depuis 8 ans et a notamment occupé des postes en lutte au blanchiment d’argent et en intelligence d’affaires. Il a ensuite agi comme responsable de produit sur les projets de maintenance des outils internes. Depuis mai 2021, il œuvre à titre de responsable de produit d’une solution innovante en matière de sensibilisation en sécurité.