Joëlle Bouchard |

« La ressource la plus précieuse au monde n’est plus le pétrole, mais les données. » (The Economist, 6 mai 2017)

L’environnement dynamique dans lequel évoluent les organisations, la pression omniprésente de la concurrence, le cycle de vie des produits de plus en plus court et les besoins changeants des consommateurs imposent la recherche d’outils de gestion pour prendre des décisions éclairées plus rapidement. Dans cette perspective, l’intelligence d’affaires présente des opportunités pour aider les gestionnaires de projets face à ces nouvelles réalités.
L’objectif de l’intelligence d’affaires est d’améliorer l’agilité du processus décisionnel en permettant de mieux saisir les premiers signaux des environnements interne et externe à l’organisation. Elle permet de comprendre et utiliser adéquatement les informations recueillies, d’élaborer des prévisions, de simuler différents scénarios de réalisation en fonction de diverses actions qui pourraient être entreprises et de prendre une décision adaptée aux différents contextes rencontrés.

L’intelligence d’affaires regroupe donc un ensemble d’outils permettant de collecter, exploiter, analyser et interpréter une grande masse de données afin de faciliter la prise de décision des gestionnaires. En d’autres mots, l’intelligence d’affaires (Business Intelligence (BI)) se réfère à l’acquisition d’une connaissance approfondie de tous les facteurs qui affectent une organisation en vue d’améliorer sa position concurrentielle (Jayanthi, 2009). L’intelligence d’affaires fait donc appel aux techniques de forage de données, aux outils d’analyse statistique et aux techniques de prévision et de simulation.
Bien que ce concept ait vu le jour dans un rapport publié par le Groupe Gartner (septembre 1996), une des plus grandes sociétés de technologie d’information au monde (Shariat, M., et Hightower, J.R., 2007), qu’en est-il de son utilisation en gestion de projet notamment lors de la phase de la planification ?
La planification, un des huit domaines de performance des projets décrit dans la septième édition du guide du Corpus des connaissances en management de projet publié en août dernier, consiste à déterminer et à ordonnancer l’ensemble des tâches d’un projet, à en estimer les coûts, les durées, de même qu’à affecter des ressources à chacune d’elles. C’est aussi à cette étape du cycle de vie du projet où l’analyse des risques est effectuée. Cette étape importante conditionne la suite du projet.

Or, il ne fait aucun doute que la qualité des estimations de coûts, de durées et l’analyse des risques dépendent de l’exactitude, de la quantité et de la fiabilité des informations recueillies, de la capacité des organisations à les actualiser, à les traiter et à les interpréter.
La planification d’un projet de grande envergure est un exercice difficile. L’estimation de la durée des activités et des coûts est très souvent d’une grande imprécision même avec les modèles mathématiques disponibles à ce jour. Une revue rapide de l’actualité récente met d’ailleurs en lumière un grand nombre de projets ayant subi des dépassements de coûts et/ou de délai. La possibilité de modéliser les coûts passés, leurs évolutions dans le temps, d’élaborer des prévisions de coûts futurs ou même de simuler différents scénarios en fonction de différents coûts permet une plus grande agilité et par extension une meilleure évaluation quant à la qualité dans la décision à prendre puisqu’on dispose d’un plus large éventail d’information. Il en est de même pour l’estimation des durées, l’analyse des risques potentiels et l’affectation des ressources.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, encore aujourd’hui bon nombre d’entreprises ont recours à de nombreux fichiers Excel pour emmagasiner des informations nécessaires à leur prise de décision et provenant de sources hétérogènes tels les clients, les fournisseurs, les stocks, les délais de livraison des matières premières, les échéanciers de réalisation des principales étapes de projet, les possibilités d’amélioration des processus, les actions correctives mises en place, etc. Ces fichiers sont souvent gérés par quelques individus dans l’organisation, sont difficiles à tenir à jour, sont peu partagés, voir incomplets et peu fiables. De plus, l’intégrité des données est souvent douteuse.

Les facteurs exogènes comme la situation économique, les conditions climatiques, les actions des concurrents ou l’identification et l’intégration des parties prenantes externes à l’organisation sont souvent négligés. Les gestionnaires les considèrent dans leurs analyses de façon subjective sur la base de leur expérience.
Se pourrait-il que le manque de compétence dans les nouvelles technologies, de formation, d’engagement de la direction ou de soutien financier (Rane, Narvel, Bhandarkar, 2019) soit un frein à l’implantation d’outils d’intelligence d’affaires par les gestionnaires de projet ?

Tavera Romero et al (2021) affirme que l’intelligence d’affaires est devenue indispensable à la prise de décision stratégique dans les entreprises et les gouvernements du monde entier. Elle joue un rôle important dans la survie des entreprises, dans le maintien des relations avec d’autres entreprises, dans le contre-espionnage, dans les buts et les objectifs à court et à long terme. De plus, les études confirment les avantages de la mise en œuvre de l’informatique décisionnelle, notamment l’amélioration de la performance, de l’efficacité, de la productivité, de la croissance de l’entreprise, de la planification des ressources, de la relation fournisseur-acheteur et de la réduction des coûts, ce qui peut finalement conduire à un avantage concurrentiel. Pourrait-on espérer les mêmes avantages appliqués au contexte de la gestion de projet ?

Les entreprises qui ont implanté des outils d’intelligence d’affaires sont plutôt discrètes selon Torres (2008), ne voulant pas dévoiler le secret de leur réussite. Qu’en est-il de celles qui gèrent des projets?

Les besoins des gestionnaires de projet sont réels. De plus en plus de programmes collégiaux et universitaires offrent maintenant des formations spécialisées en Intelligence d’affaires. Qui sait, l’intelligence d’affaires appliquée à la planification de projet ouvrira peut-être la porte sur une nouvelle façon de faire qui permettra d’augmenter les chances de succès des projets. Les perspectives de recherche sont excellentes puisque ce sujet est complètement délaissé dans la littérature scientifique et mériterait qu’on s’y intéresse.

Bibliographie

Jayanthi, R. (2009). Business intelligence: concepts, components, Techniques and benefits. Journal of Theoretical and Applied Information Technology. Volume 19. No 1. pp1- 6.

Rane, S., Narvel, Y.A.M and Bhandarkar, B.M. (2019), “Developing strategies to improve agility in the Project Procurement Management (PPM) Process-Perspective of Business Intelligence (BI)”, Business Process Management Journal, doi: 10.1108/BPMJ-07-2017-0196

Shariat, M., and Hightower, J.R. (2007). “Conceptualizing Business Intelligence Architecture,” Marketing Management Journal (17:2), Fall2007, pp 40-46.
Tavera Romero, C.A.; Ortiz, J.H.; Khalaf, O.I.; Ríos Prado, A. Business Intelligence: Business Evolution after Industry 4.0. Sustainability 2021, 13, 10026. https://doi.org/10.3390/ su131810026

Torres, P. (2008). L’intelligence d’affaires ou l’art de faire parler les chiffres. Revue MPE, mai 2008.
Wu, D. D., Chen, S. H., & Olso« La ressource la plus précieuse au monde n’est plus le pétrole, mais les données. » (The Economist, 6 mai 2017)n, D. L. (2014a). Business intelligence in risk management: Some recent progresses. Information Sciences, 256, 1–7
https://www.economist.com/leaders/2017/05/06/the-worlds-most-valuable-resource-is-no-longer-oil-but-data

À propos de l’auteur

Joelle Bouchard

Joëlle Bouchard MBA, Ph. D.

Joëlle Bouchard est professeure agrégée à l’Université du Québec à Chicoutimi. Elle enseigne les méthodes quantitatives, la gestion des opérations et la gestion de projet. Elle est détentrice d’un doctorat en administration spécialisé en opérations et systèmes de décision de l’université Laval.