Olivier Choinière |

Lancé le 30 novembre dernier, l’agent conversationnel ChatGPT (développé par la firme Open AI) retient depuis la manchette pour son énorme potentiel dans de multiples domaines d’activité, mais également pour d’éventuels effets indésirables, que ce soit le plagiat dans le milieu académique ou encore la menace qui plane sur certains corps de métier. 

Le débat s’est également invité dans la gestion de projet. En effet, l’intelligence artificielle (IA) est déjà bien présente dans ce domaine d’expertise et son utilisation s’accroîtra de façon exponentielle au cours des prochaines années, comme en fait foi un sondage mené par la firme PwC en 2019 lors duquel 85 % des chefs d’entreprise interrogés affirmaient que l’IA « changera de manière significative la façon dont ils exercent leurs activités au cours des cinq prochaines années » (PMI, 2019b: 2). Cette statistique illustre également le mutualisme entre l’IA et la gestion de projet, tel que suggéré par la professeure Loubna Benabbou de l’UQAR : l’IA améliore sensiblement l’efficacité de la gestion de projet qui, en retour, soutient sa mise en œuvre. À ce titre, cet article souhaite brosser un bref portrait de cette relation symbiotique. 

D’une part, l’IA propose de nombreux bénéfices autant pour la gouvernance que pour la gestion des portefeuilles, programmes et projets. Dans sa forme primaire, l’IA accroît de façon substantielle les capacités existantes au sein d’une organisation. Elle permet ainsi l’automatisation des tâches répétitives afin que les gestionnaires de projet puissent se concentrer sur les activités à valeur ajoutée, tels que l’alignement stratégique ou la résolution de conflits. D’ailleurs, selon Skinner (2022: 2), 80 % des tâches dites conventionnelles en gestion de projet seront effectuées par l’IA d’ici 2030. De plus, l’IA facilite grandement la mise en valeur des leçons apprises grâce à l’analyse automatisée des données d’autres projets afin d’établir des estimations plus précises des différentes exigences du projet (Skinner, 2021 : 22). Dans sa forme plus évoluée, l’IA réduit la complexité inhérente de certains projets grâce à l’apprentissage automatique. En effet, ce type de système permet aux organisations d’examiner de vastes quantités de données, enrichissant de ce fait l’analyse prédictive au-delà des présentes capacités des organisations (Niederman, 2021). Cette analyse permet ainsi d’explorer différents « futurs » plausibles, les opportunités qui pourraient se présenter et aussi les risques qui peuvent émerger, en plus d’anticiper les changements dans l’environnement, de pouvoir agir de manière proactive et ultimement de prendre de meilleures décisions (Forum économique mondial, 2022).

D’autre part, la gestion de projet constitue un champ d’activité indispensable pour matérialiser les promesses de l’IA. En effet, le déploiement de ces technologies ne fait que commencer et les pratiques Agile s’avèrent tout indiquées pour ce type de projet, notamment grâce à leur caractère itératif, un incontournable dans un domaine où les changements sont l’apanage du quotidien. Toutefois, les projets d’IA apportent leur lot de défis. Les organisations doivent prestement accroître le quotient technologique de leurs gestionnaires de projet, soit leur « capacité […] à adapter, gérer et intégrer la technologie en fonction des besoins de l’organisation ou du projet en cours » (PMI 2019b: 3, traduction libre). Ces gestionnaires doivent maintenant gérer des équipes mixtes au sein desquelles humains et robots collaborent sur une base de plus en plus régulière. Cet état d’esprit doit également être jumelé avec une culture d’entreprise ouverte et promouvant l’innovation et l’expérience, ce qui signifie octroyer un réel droit à l’erreur (et non seulement dans le discours officiel). Toutefois, la majorité des organisations ne semble pas être pressée d’offrir les conditions pour maximiser les bénéfices de ces nouveaux projets : alors qu’elles ont investi des milliards de dollars dans des projets d’IA, seulement 3% des chefs d’entreprise sondés ont affirmé que ces sommes incluaient des budgets significatifs en formation et en mise à niveau des compétences de leurs employés(ées) (PMI,2019b: 5). Enfin, les gestionnaires de projet devront également examiner attentivement les questions éthiques, en guise d’exemple, les biais algorithmiques qui peuvent parfois propager des préjugés sociaux et culturels ou encore la traçabilité des résultats offerts par les machines apprenantes telles que ChatGPT (Economist, 2022: 60).

En somme, la symbiose entre gestion de projet et IA est promise à un brillant avenir pourvu que les organisations puissent s’adapter et outiller convenablement leurs gestionnaires de projet, et ce, afin d’éviter des lendemains amers. 

BIBLIOGRAPHIE

  • The Economist (2022). The new age of AI, 445(9325), Dec. 10th: 58-60
  • Niederman, F. (2021). Project management: openings for disruption from AI and advanced analytics. Information Technology & People, 34(6), 1570-1599. 
  • Project Management Institute (2019a). AI Innovators: Cracking the Code on Project Performance, PMI.
  • Project Management Institute (2019b). The future of work: leading the way with PMTQ, PMI. 
  • Skinner, Lloyd J. (2022). How will AI transform project management? ITNOW, 64(2), 14-15
  • Skinner, L. (2021). Using AI To Increase Project Management Maturity. ITNOW, 63(1), 
  • World Economic Forum (2022). Strategic Intelligence: https://intelligence.weforum.org/

À propos de l’auteur

Olivier Choinière

Olivier est professeur régulier en gestion de projet à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et chercheur affilié au Centre d’études en gouvernance de l’Université d’Ottawa. Il détient un doctorat en gestion publique de l’Université d’Ottawa ainsi qu’une maîtrise en administration publique de l’ÉNAP. Olivier possède expertise et expérience en gestion de projet, du changement et du risque ainsi qu’en gouvernance d’entreprise. Avant de joindre le milieu académique, Olivier a œuvré comme consultant pour le compte d’organisations publiques et privées au Canada et à l’international en plus d’avoir occupé un poste de cadre supérieur au sein du gouvernement fédéral.