Éviter les retards peut-il aider à maîtriser le budget dans les mégaprojets ?
D’après Bent Flyvbjerg (2017), la clé de succès qui permet d’optimiser les coûts c’est d’éviter les retards.
Les retards dans les mégaprojets sont des phénomènes ubiquistes (Zhang et al., 2020) avec des répercussions sur plusieurs niveaux et plus encore sur le plan financier. Cet article présente, à travers des cas factuels, quelques impacts des retards sur le coût d’un projet dans l’ordre suivant : un gonflement du budget, « le piège de la dette » avant de terminer le cas de l’aéroport Willy Brandt en Allemagne.
Ansar et al. (2014) ont démontré, d’après une étude réalisée à l’Université d’Oxford, que les retards sur les projets de construction de barrages sont en moyenne de 45 %. De ce fait, si le temps de construction d’un tel ouvrage était estimé à 10 ans, celui-ci nécessiterait 14,5 ans en moyenne, de la décision de construire jusqu’à sa livraison (Flyvbjerg, 2017). Subséquemment, le budget se verra gonfler inévitablement par le rallongement du temps d’exécution. Les charges de main-d’œuvre vont devoir être supportées encore 4,5 ans de plus sans compter toutes les autres charges fixes qui vont demeurer tant que le projet n’est pas clôturé.
Les retards deviennent encore plus problématiques si le projet est financé par emprunt. Ceci s’explique par le fait que les charges d’intérêts générées par le projet vont continuer à courir alors qu’il n’y a toujours pas de retour d’investissement du projet pour les payer. Flyvbjerg (2017) dénomme cela le « le piège de la dette », c’est-à-dire que, du fait des retards, le projet ne génère pas de revenus pouvant couvrir les charges. À long terme, on se retrouvera au fond du gouffre. Alors, ces types de projets vont engendrer une perte causée par les charges de retards et un non-retour sur investissement.
L’Allemagne constitue aussi une illustration patente de la problématique des retards lors des dernières décennies. Une analyse empirique d’Héraud (2017) nous révèle que le chantier du nouvel aéroport de Berlin-Schönefeld devait initialement être prêt en 2012. Ce projet est finalement devenu sujet de débat en Allemagne à cause de nombreuses années de retards accumulées. Jusqu’en 2017, 5 ans après la date de fin initialement prévue, l’ouverture était encore escomptée en 2020 avec un coût dépassant plus de 7 fois le budget initialement prévu de 1.7 milliard d’euros.
Considérer un retard juste comme une faille dans les projets de construction est une grande négligence selon Aibinu (2006), c’est au contraire une perturbation majeure pour les projets d’infrastructures et pour une économie tout entière. Sachant que ces types de projets sont toujours confrontés au dépassement de délais qui entraînent à leur tour des dépassements de coûts (Shehu et al., 2014), donc ne serait-il pas plus judicieux de travailler sur le facteur temps pour faire « d’une pierre deux coups » tel qu’allégué par Flyvbjerg au tout début de cet article.
Bibliographie
Aibinu, A. A. (2006). Construction Delays and Their Causative Factors in Nigeria. Journal of construction engineering and management, 132(7), 667-677.
Ansar, A., Flyvbjerg, B., Budzier, A., & Lunn, D. (2014). Should we build more large dams? The actual costs of hydropower megaproject development. Energy policy, 69, 43-56.
Flyvbjerg, B. (2017). Introduction: The iron law of megaproject management. Bent Flyvbjerg, 1-18.
Héraud, J.-A. (2017). Les dysfonctionnements des grands projets d’infrastructure en Europe: quelles explications? Maintenir l’Europe dans l’histoire, 33.
Shehu, Z., Endut, I. R., & Akintoye, A. (2014). Factors contributing to project time and hence cost overrun in the Malaysian construction industry. Journal of Financial Management of Property and Construction.
Zhang, J., Chen, F., & Yuan, X. X. (2020). Comparison of cost and schedule performance of large public projects under P3 and traditional delivery models: a Canadian study. Construction Management and Economics, 38(8), 739-755.
À propos de l’auteur
El Hadji a un baccalauréat en gestion d’entreprise et une maîtrise en finance. Il détient également un brevet de technicien supérieur en gestion de la chaîne d’approvisionnement et logistique. Il fait actuellement une maîtrise de recherche en gestion de projet. El Hadji a centré ses travaux de recherche pour le mémoire sur les retards dans les mégaprojets de construction. Il a eu sa première expérience professionnelle dans le secteur de la communication au sein du Groupe Orange Sonatel. Actuellement, El Hadji est agent de soutien aux personnes immigrantes à Accueil et Intégration Bas-Saint-Laurent (AIBSL). Ses intérêts de recherche portent sur l’étude des causes de retards dans les mégaprojets de construction à travers une analyse spécifique de la gestion de l’approvisionnement, la gestion des contractants.