Jacques Gaumond et Marisabelle S. Bérubé |
Les compétences comportementales en gestion de projet : pourquoi les évaluer, quoi évaluer et comment ?
Il est fréquent de vivre une première expérience d’évaluation de ses connaissances et compétences durant notre parcours d’éducation primaire et secondaire. De l’aveu même de CSÉ[1] « l’évaluation est encore généralement vécue de façon négative », impression qui persiste également au sortir de l’école. Par ailleurs, dans le monde du travail, les compétences professionnelles étant liées aux situations, « évaluer des compétences, c’est évaluer un objet mouvant et difficile d’accès », conclut Tourmen[2].
Pourquoi évaluer des compétences
Dans le milieu des organisations et des entreprises, où les pratiques de formation, d’apprentissage et d‘évaluation sont moins structurées qu’en éducation[3], particulièrement dans les PME, le but de l’évaluation diffère et l’enjeu est le développement des compétences[4]. Face à des paradigmes différents, nous nous concentrons ici sur les compétences individuelles du praticien en gestion de projet.
Le Boterf[5] explique que dans l’économie du savoir où le professionnel est non seulement opérateur, mais aussi acteur, le défi devient d’évaluer le transfert des acquis des apprentissages. L’évaluation sert alors à informer, valider, reconnaître et valoriser la progression et le potentiel de développement des compétences. Roussel[6] définit le transfert des apprentissages comme « l’utilisation réalisée par un individu des connaissances, savoirs et habiletés apprises en formation dans le cadre de situations de travail comportant un certain degré de nouveauté, afin d’améliorer de façon prioritaire sa performance en lien avec les exigences de l’entreprise ». Il souligne aussi la nécessité d’une capacité d’adaptation de l’individu. Ajoutons que les apprentissages peuvent s’effectuer par des moyens autres que la formation et que la performance visée est non seulement actuelle, mais aussi potentielle. L’évaluation des compétences répond ainsi au besoin de l’organisation de mieux connaître les capacités du personnel et à celui de l’individu de faire évoluer sa carrière.
Quoi évaluer au sujet des compétences comportementales
L’important ici est d’observer et d’analyser des comportements attendus ou nouveaux manifestés par le praticien[7], l’objet d’évaluation étant le degré de maîtrise de situations de travail faisant souvent appel à une combinaison de compétences[8].
Les contextes d’usage de cette évaluation comprennent l’appréciation annuelle du rendement et le bilan de compétences, les intervenants y contribuant étant en premier lieu le praticien, le gestionnaire hiérarchique, la direction des ressources humaines et, possiblement, des pairs et collègues.
Les comportements du praticien sont mis en relief avec le descriptif de poste occupé ou un référentiel de compétences, mais surtout par la prise de conscience de la façon dont le praticien agit, donc moins dans une logique de contrôle d’un écart et davantage dans celle d’une pratique professionnelle à améliorer[9].
Comment évaluer de telles compétences
L’évaluation du transfert des acquis n’est pas répandue dans la majorité des organisations ni systématisée. Plusieurs freins sont en cause, dont les intervenants eux-mêmes; le recours à des pratiques d’évaluation simples, souples et conviviales est préconisé.[10]
Les modalités usuelles d’évaluation sont :
- L’évaluation à 180°, où la personne s’autoévalue, le supérieur[11] l’évalue et les conclusions sont convenues par consensus
- L’évaluation à 360°, où en plus de la personne et du supérieur, d’autres individus sélectionnés contribuent à l’évaluation selon des règles précises[12]
- L’auto-évaluation, qui est une démarche réflexive et une habileté à perfectionner par le praticien.
Un exemple pratique
Depuis 2022, à titre de conseillers, nous utilisons des profils types génériques de compétences comportementales et des bilans de compétences auprès de praticiens en gestion de projet à des fins de développement et d’évaluation. L’auto-évaluation est privilégiée. Le répertoire de 120 compétences comportementales du système psychométrique TRIMA[13] est mis à contribution. Chaque compétence, par exemple travailler en équipe, a sa propre définition et se décline en 10 gestes clés ou comportements observables concrets. Le praticien est guidé dans la sélection des 2 ou 3 compétences prioritaires à développer sur la prochaine année, dans l’identification des 2 à 4 gestes clés par compétence les plus pertinents pour lui et dans la caractérisation balisée de son point de départ et de la cible visée. Le conseiller TRIMA consigne ensuite le tout dans un Plan de Développement Individuel de Compétences et accompagne le praticien avec du coaching individuel ou collectif sur un parcours[14] de développement l’amenant à une meilleure maîtrise des compétences comportementales mesurables sélectionnées.
Suite et fin
Dans la quatrième et dernière partie de cet article, nous aborderons le thème de la motivation soutenue du praticien à développer des compétences comportementales.
[1] Conseil supérieur de l’éducation CSÉ (2018). « Évaluer pour que ça compte vraiment ». Gouvernement du Québec, 2018.
[2] Tourmen, C. (2015). « L’évaluation des compétences professionnelles : apports croisés en évaluation, en éducation et en psychologie du travail ». Mesure et évaluation en éducation, Université Laval, 2015.
[3] Talbot, N. et El Euch, S. (2022). « L’évaluation des compétences : une pluralité de défis ». Les Éditions JFD inc., 2022.
[4] UQAM (2013). « L’apprentissage dans les PME : l’emprise de l’informalité ». Observatoire Compétences-Emplois, UQAM, décembre 2013.
[5] Le Boterf, G. (2002). « Développer la compétence des professionnels ». Éditions d’Organisation, 2002.
[6] Roussel, J.-F. (2018). « Gérer la formation : Viser le transfert ». Présentation, Université de Sherbrooke, p.17, février 2018.
[7] UQAM (2017). « Évaluation du transfert des acquis en milieu de travail : une nouvelle méthode ». Observatoire Compétences-Emplois, UQAM, mars 2017.
[8] Le Boterf. G. (1998). « Évaluer les compétences. Quels jugements? Quels critères? Quelles instances? ». Éducation permanentE, janvier 1998.
[9] Le Boterf, G. (2006). « Ingénierie et évaluation des compétences ». Eyrolles Éditions d’Organisation, 6e édition, 2011.
[10] Monnot, A. (2014). « Les pratiques d’évaluation de la formation professionnelle et leurs déterminants dans les entreprises du SBF 120 ». Management & Avenir, 2014.
[11] En matière de compétences comportementales des gestionnaires de projet, l’étude de Yessine conclut que les modes d’évaluation les plus utilisés dans les entreprises sont les feedbacks fournis par le supérieur hiérarchique en cours de projet. Yessine, B. (2017). « Étude sur les compétences relationnelles des gestionnaires de projet au sein des entreprises québécoises ». Université du Québec à Rimouski, juillet 2017.
[12] Guay, M.-M. (2000). « La rétroaction à 360° : rien de mieux pour connaître les perceptions de l’entourage organisationnel ». Sources, ENAP, octobre 2000.
[13] Voir le site Web www.trima.ca
[14] Tardif, J. (2006). « L’évaluation des compétences – Documenter le parcours de développement ». Les Éditions de la Chenelière inc., 2006.
À propos des auteurs
Jacques Gaumond – M.Sc.A., PCC, Acc.Dir.
Coach, consultant et administrateur de sociétés
Jacques Gaumond agit à titre de coach professionnel et de consultant chevronné depuis plus de dix ans dans le domaine de la gestion et des affaires. Il accompagne des dirigeants et des gestionnaires d’entreprise ou d’organisation à améliorer l’impact de leur leadership sur le plan individuel ou de l’équipe. Jacques intervient aussi auprès d’organisations dans la préparation de la relève de direction, le développement des talents et la gestion du changement. Par ailleurs, il est conseiller certifié TRIMA depuis 2016, membre du chapitre Québec de l’Association of Change Management Professionals (ACMP) depuis 2015, membre de Mentorat Québec depuis 2022 et membre de l’International Coaching Federation depuis 2010.
Membre du Chartered Governance Institute of Canada depuis 2008, Jacques agit aussi à titre d’administrateur de sociétés depuis plus de vingt ans auprès d’entreprises à capital fermé ou d’organisations à but non lucratif.
Au préalable, Jacques a œuvré comme gestionnaire et cadre dirigeant dans le secteur des technologies de l’information et des services aux entreprises sur plus de trente ans, au Canada et à l’international. Il a acquis une expérience variée au sein de grandes et moyennes entreprises, dans des responsabilités d’ingénierie des systèmes, de marketing, de vente, de service à la clientèle, de services-conseils et de direction générale.
Passionné par l’impact des technologies de l’information et du développement des individus sur la performance des organisations, son parcours l’a souvent amené à être soit responsable de, collaborateur sur, ou en gouvernance de projets d’envergure notamment dans les secteurs de la technologie, de la construction et de la formation. Il continue à apprendre et à explorer de nouveaux moyens et outils afin de contribuer à la réussite de projets d’envergure ainsi qu’à l’épanouissement des membres de telles équipes-projet.
Jacques est détenteur d’un B.Sc. en informatique de l’Université de Montréal, d’une M.Sc.A. en télécommunications de Polytechnique Montréal et d’un diplôme en administration de HÉC Montréal.
Consultante
Consultante et travailleuse autonome, Marisabelle S Bérubé détient une maîtrise en communication et est bachelière en psychosociologie de la communication de l’UQÀM. Elle a amorcé sa carrière dans le domaine des communications pour s’intéresser par la suite à l’évaluation de projets ainsi qu’au développement des compétences.
Marisabelle est réputée pour l’originalité et l’efficacité de ses accompagnements en planification stratégique et gestion d’organisme.
Conseillère certifiée TRIMA depuis 2006, elle implante et facilite le déroulement de groupes de codéveloppement professionnel. Membre de l’Association québécoise de codéveloppement professionnel (AQCP), elle siège à son conseil d’administration depuis janvier 2019. À titre de formatrice, elle a collaboré régulièrement avec les services de formation en entreprise, notamment pour développer et dispenser des cours en gestion des ressources humaines, communication et travail d’équipe.