Jacques Gaumond et Marisabelle S. Bérubé |
Les compétences comportementales en gestion de projet : lesquelles développer (Processus d’apprentissage, Besoins) et comment (par quels Moyens) ?
Pour le praticien en gestion de projet, la notion de professionnalisation telle qu’explicitée par Wittorski[1] et Le Boterf (2010)[2] fait référence à avoir des compétences et à être compétent. Avoir des compétences reconnues implique généralement que le praticien complète une formation initiale en gestion de projet soit dans une université ou auprès d’un organisme de formation accrédité menant à l’obtention d’une certification telle le Project Management Professional PMP®. Par ailleurs, des membres d’ordres professionnels tels l’Ordre des Ingénieurs du Québec (OIQ) sont habilités à exercer en gestion de projet.
Selon Boudreault[3] et Le Boterf (2011)[4], être compétent signifie avoir la capacité à utiliser ses compétences et ses ressources de façon pertinente et savoir agir de manière durable selon diverses situations. Être compétent a pour finalités l’établissement et le maintien du lien de confiance entre le professionnel et les personnes avec lesquelles il interagit ainsi que la réflexivité qui fait progresser le professionnel sur sa trajectoire vers la performance et l’excellence.
Développer des compétences, notamment comportementales, s’opère sur la durée. Nous situons ainsi le développement de compétences comportementales dans le contexte de l’apprentissage adulte tout au long de sa vie professionnelle.
Processus d’apprentissage adulte
Des six principes clés de l’andragogie[5], retenons les trois premiers que sont l’implication de l’adulte dans le but et le besoin de l’apprentissage, le concept de soi et enfin le rôle de l’expérience de l’apprenant. Kolb[6] a approfondi le concept d’apprentissage expérientiel qui place les apprenants dans des situations reflétant leurs réalités et a proposé un modèle de cycle d’apprentissage en quatre phases et qui intègre quatre styles d’apprentissages. La figure 1 représente une version simplifiée de ce modèle.
Fig. 1 – Schéma simplifié et adapté du cycle d’apprentissage expérientiel et des 4 styles d’apprentissages de Kolb
Besoins
Où le praticien peut-il s’inspirer, à quoi peut-il se référer afin d’identifier les compétences comportementales à développer ou à perfectionner ? Nous soumettons ici quelques sources d’inspiration et une série de moyens.
Diverses publications réputées communiquent des listes de telles compétences, notamment des sites d’agence de recrutement et des associations comme PMI.
D’une manière plus structurée et complète, des référentiels de compétences décrivent les compétences prescrites sur divers rôles en gestion de projet et les catégorisent par niveaux de maîtrise. De tels référentiels existent sur un plan général comme le Project Management Book Of Knowledge (PMBOK®) du PMI. Quoique plus complets et précis que les listes, les référentiels sont plus exigeants à créer, à maintenir et à utiliser.
Plus simples à créer et à appliquer que les référentiels, des profils optimaux de compétences comportementales peuvent être établis pour des rôles spécifiques à partir de modèles psychométriques validés scientifiquement et de leurs répertoires de compétences. Ainsi, de tels profils pour des rôles clés en gestion de projet furent créés par les auteurs du présent article en utilisant les outils du système psychométrique TRIMA[7].
Que ce soit à partir de listes, de référentiels ou de profils, le praticien doit d’abord sélectionner quelques compétences comportementales, généralement deux ou trois, et formuler ses buts et objectifs pour une période d’apprentissage, en pratique sur douze mois. Cette sélection par le praticien peut s’appuyer sur des processus de gestion des ressources humaines, telles l’évaluation de rendement, l’intégration en poste ou la transition de carrière, et être validée avec son gestionnaire.
Moyens de développer des compétences comportementales
L’apprentissage adulte efficace repose sur le volet expérientiel tel que présenté plus haut ainsi que sur le volet apprentissage social, tel qu’élaboré par Bandura[8], lequel permet à l’adulte d’apprendre en observant et imitant les autres autour de soi.
Les formations d’appoint fournies par divers organismes représentent le moyen traditionnel d’acquérir savoir et savoir-faire à propos de nouvelles compétences, même comportementales.
Tremblay[9] a tracé l’état des recherches sur l’autoformation comme phénomène d’intérêt croissant. Un praticien pourra opérer un changement durable sur ses compétences comportementales avec ce moyen s’il s’entoure de personnes de confiance qui lui apporteront rétroaction et stimulation à l’engagement dans l’action.
Dans une relation mentorale[10], le mentor transmet ses savoirs, sans rien attendre en retour. Le mentoré, dans ce cas le praticien, peut bénéficier de ce moyen pour développer des compétences comportementales en lui exprimant ses besoins et objectifs.
L’apprentissage entre pairs[11] répond bien à plusieurs attentes des apprenants adultes en milieu de travail. Dans sa modalité pleinement autonome, il présuppose une maturité élevée et des intérêts communs des membres du groupe d’apprenants. L’efficacité de ce procédé pour le développement de compétences comportementales requiert l’apport d’un facilitateur neutre et équitable.
Le coaching[12] individuel et/ou collectif est un partenariat entre le coach et les personnes coachées où, distinctement du mentorat, un cadre relationnel est formellement établi. Le coach s’engage à guider le processus afin que les coachés, ici les praticiens, réalisent leurs objectifs de développement de compétences comportementales durant la période convenue.
Dans son livre sur le codéveloppement, Desjardins[13] consacre un chapitre à ce moyen comme dispositif d’apprentissage. Un groupe de praticiens peut bénéficier de ce moyen s’ils sont disposés à jouer le rôle de consultants venant en aide à un client du groupe à tour de rôle sur le développement de compétences comportementales, sous la conduite d’un animateur du groupe.
La suite
Dans les parties 3 et 4 de cet article, nous aborderons les thèmes de l’évaluation de la progression vers la maîtrise et celui de la motivation à développer des compétences comportementales.
[1] Wittorski, R. (2008). « La professionnalisation ». Revue internationale de recherches en éducation et formation des adultes, 2008.
[2] Le Boterf, G. (2010). « Professionnaliser ». Éditions d’organisation, 6e éd., 2010.
[3] Boudreault, H. (2015). « Savoir être compétent ». Effectif, Ordre des CRHA, 2015.
[4] Le Boterf, G. (2011). « Qu’est-ce qu’un professionnel compétent ? ». Pédagogie collégiale, 2011.
[5] Knowles, M.S. et al (2005). « The Adult Learner ». Elsevier, 6th ed., 2005.
[6] Kolb, D.A. (1984). « Experiential Learning: Experience as the Source of Learning and Development ». Case Western Reserve University, 1984.
[7] Voir le site Web www.trima.ca
[8] Bandura, A. (2012). « Bandura’s Social Learning Theory & Social Cognitive Learning Theory ». University of Science and Culture, 2012.
[9] Tremblay, N.A. (2003). « L’autoformation ». Presses de l’Université de Montréal, 2003.
[10] Voir le site Web www.mentoratquebec.org
[11] Lenne, D. (2017). « L’apprentissage entre pairs en 10 étapes ». Harvard Business Review France, août 2017.
[12] Voir le site Web www.icfquebec.org
[13] Desjardins, M. et al (2022). « Le groupe de codéveloppement en pratique ». Les Éditions JFD inc. 2022.
À propos des auteurs
Jacques Gaumond – M.Sc.A., PCC, Acc.Dir.
Coach, consultant et administrateur de sociétés
Jacques Gaumond agit à titre de coach professionnel et de consultant chevronné depuis plus de dix ans dans le domaine de la gestion et des affaires. Il accompagne des dirigeants et des gestionnaires d’entreprise ou d’organisation à améliorer l’impact de leur leadership sur le plan individuel ou de l’équipe. Jacques intervient aussi auprès d’organisations dans la préparation de la relève de direction, le développement des talents et la gestion du changement. Par ailleurs, il est conseiller certifié TRIMA depuis 2016, membre du chapitre Québec de l’Association of Change Management Professionals (ACMP) depuis 2015, membre de Mentorat Québec depuis 2022 et membre de l’International Coaching Federation depuis 2010.
Membre du Chartered Governance Institute of Canada depuis 2008, Jacques agit aussi à titre d’administrateur de sociétés depuis plus de vingt ans auprès d’entreprises à capital fermé ou d’organisations à but non lucratif.
Au préalable, Jacques a œuvré comme gestionnaire et cadre dirigeant dans le secteur des technologies de l’information et des services aux entreprises sur plus de trente ans, au Canada et à l’international. Il a acquis une expérience variée au sein de grandes et moyennes entreprises, dans des responsabilités d’ingénierie des systèmes, de marketing, de vente, de service à la clientèle, de services-conseils et de direction générale.
Passionné par l’impact des technologies de l’information et du développement des individus sur la performance des organisations, son parcours l’a souvent amené à être soit responsable de, collaborateur sur, ou en gouvernance de projets d’envergure notamment dans les secteurs de la technologie, de la construction et de la formation. Il continue à apprendre et à explorer de nouveaux moyens et outils afin de contribuer à la réussite de projets d’envergure ainsi qu’à l’épanouissement des membres de telles équipes-projet.
Jacques est détenteur d’un B.Sc. en informatique de l’Université de Montréal, d’une M.Sc.A. en télécommunications de Polytechnique Montréal et d’un diplôme en administration de HÉC Montréal.
Marisabelle S. Bérubé, M.Sc.
Consultante
Consultante et travailleuse autonome, Marisabelle S Bérubé détient une maîtrise en communication et est bachelière en psychosociologie de la communication de l’UQÀM. Elle a amorcé sa carrière dans le domaine des communications pour s’intéresser par la suite à l’évaluation de projets ainsi qu’au développement des compétences.
Marisabelle est réputée pour l’originalité et l’efficacité de ses accompagnements en planification stratégique et gestion d’organisme.
Conseillère certifiée TRIMA depuis 2006, elle implante et facilite le déroulement de groupes de codéveloppement professionnel. Membre de l’Association québécoise de codéveloppement professionnel (AQCP), elle siège à son conseil d’administration depuis janvier 2019. À titre de formatrice, elle a collaboré régulièrement avec les services de formation en entreprise, notamment pour développer et dispenser des cours en gestion des ressources humaines, communication et travail d’équipe.