Jacques Gaumond et Marisabelle S. Bérubé |

Les compétences comportementales en gestion de projet : que sont-elles (Quoi), ce qui fait qu’elles sont pertinentes (Pourquoi), et est-ce le bon moment de s’y engager (Pourquoi maintenant)?

C’est dans la décennie précédente que des associations mondiales, comme le Project Management Institute (PMI) avec son Talent Triangle® inauguré en 2015 et le International Project Management Association (IPMA) avec son Individual Competence Baseline 4.0 lancé en 2015, et des ordres professionnels nationaux, tel l’Ordre des Ingénieurs du Québec (OIQ) avec son Guide de pratique professionnelle, ont modélisé (voir la figure 1) et formalisé le recours aux compétences dans les formations et les certifications des praticiens en gestion de projet. Un récent article[1] soulignait, parmi les défis contemporains en gestion de projet, ceux de diversité et d’inclusion, de collaboration intergénérationnelle et interculturelle, d’adaptation au travail à distance et maintenant au travail hybride, d’innovation et d’acceptabilité sociale. Les auteurs proposent ainsi que durant la décennie actuelle, l’humain prendra toute sa place sur le volet des compétences en gestion de projet afin de relever de tels défis.

[1] PMI Lévis Québec (2021). « Les valeurs en gestion de projets : une puissance à découvrir (1ère partie de 2), juin 2021.

Quoi : notions de compétences

La compétence est une notion polysémique. En s’inspirant des auteurs réputés que sont Coulet[1], Le Boterf[2], Tardif[3] et Fernandez[4], on peut ressortir les éléments clés suivants pour en élaborer une définition pragmatique :

  • capacité évaluable et évolutive,
  • d’une combinaison de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être mobilisés,
  • pour agir et interagir de manière adaptée face à des situations diverses et (ou) inédites.

Dépassant la notion de connaissance associée aux savoirs théoriques et techniques, la compétence s’acquiert d’abord par le passage à l’action et la mise en œuvre de la connaissance.

Compétences comportementales

Les associations mondiales telles PMI et IPMA ont regroupé les compétences idéales en gestion de projet en trois domaines complémentaires (voir fig.1). D’abord, les compétences techniques portent sur les savoirs et les savoir-faire du métier ainsi que sur les outils et secteurs d’activité de la gestion de projet. Ensuite, les compétences d’affaires et stratégiques prennent en compte les objectifs de l’organisation dans la gestion de projet. Enfin, les power skills, (aussi appelées soft skills ou compétences humaines) sont centrées sur l’équipe-projet et les autres personnes, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation, impliquées et impactées par le projet; nous y référons avec le vocable de compétences comportementales.

La compétence s’étend ainsi au-delà de la connaissance. Selon Alaoui Mamoun, k. et Baba, S.[5] et Arsenault[6], les compétences comportementales représentent un savoir agir en situation pour s’adapter à des contextes organisationnels et professionnels variés et (ou) nouveaux. En gestion de projet, ces compétences s’appliquent aux gestionnaires et autres membres des équipes projets dans leur relations internes et avec les parties-prenantes.

Pourquoi : pertinence des compétences comportementales

S’il est reconnu que la maîtrise de compétences générales telle la résolution de problèmes a des effets bénéfiques sur le marché du travail et les adultes en emploi[7], en quoi les compétences comportementales seraient-elles plus précisément pertinentes en gestion de projet ? Que l’étude soit une méta-analyse[8] ou qu’elle valide des hypothèses sur le gestionnaire de projet et l’équipe projet[9], elles supportent que les compétences comportementales puissent contribuer à la réussite des projets. De plus, Le Boterf (2008) et Baba (2021) expliquent la notion d’identité professionnelle que les praticiens en gestion de projet construisent sur la durée en misant sur l’approfondissement des compétences comportementales et la réflexivité. Par ailleurs, ces compétences portent sur la gestion des émotions et les relations des membres des équipes projets et influent directement sur leur bien-être et leur plaisir au travail.

Pourquoi s’y engager maintenant : la décennie de l’humain

Dans son rapport annuel 2023[10] portant exclusivement sur les power skills, PMI fait état de recherches qui tracent des liens entre compétences comportementales et réussite de projet, notamment sur les facteurs clés de réussite de projet que sont la maturité de gestion sur la réalisation des bénéfices, l’agilité organisationnelle et la maturité en gestion de projet. En outre, le rapport relate diverses approches mises en place par des organisations qui priorisent effectivement ces compétences. En extrapolant jusqu’en 2030, l’OCDE[11] sous-tend que la numérisation et la complexité du travail accroîtront l’importance des tâches non-routinières analytiques et interpersonnelles, ce qui mènera à la reconnaissance des compétences comportementales comme essentielles.

Ajoutons les effets tels la perte de sens et le sentiment de précarité sur les personnes au travail découlant de la pandémie de 2020 qui demandent de mieux prendre en compte l’humain dans les équipes projets. Anticipons le changement générationnel majeur qui aura lieu dans la prochaine décennie : départ des derniers Baby-Boomers et arrivée des premiers individus de la Génération Alpha sur le marché du travail, menant à une transition culturelle inédite. Et convenons que dorénavant des moyens existent pour mesurer la progression sur la maîtrise des compétences comportementales. Voilà somme toute de solides arguments pour les praticiens et les organisations à s’engager maintenant et pour les années qui viennent à développer les compétences comportementales.

La suite

Dans les parties 2, 3 et 4 de cet article, nous aborderons les trois thèmes suivants : Comment développer, Comment évaluer la progression et la Motivation à développer des compétences comportementales.

 

[1] Coulet, J.-C. (2011). « La notion de compétence : un modèle pour décrire, évaluer et développer les compétences ». Presses Universitaires de France, Le travail humain, Vol. 74, janvier 2011.

[2] Le Boterf, G. (2008). « Repenser la compétence ». Éditions d’Organisation, 2008.

[3] Tardif, J. (2006). « L’Évaluation des compétences ». Chenelière Éducation, 2006.

[4] Fernandez, A. (2018). « Le chef de projet efficace ». Éditions d’Organisation, 6e édition, 2018.

[5] Alaoui Mamoun, k. et Baba, S. (2021, 3-7 Mai). Importantes, mais absentes : un regard empirique sur le rôle des compétences douces en gestion de projet. [communication orale]. 88e Congrès de l’ACFASMontréal, Canada.

[6] Arsenault, L. (2012). « Le monde TRIMA – Manuel technique ». Leaders Sans Frontière inc, 2012.

[7] OCDE (2016). « Importance des compétences ». Organisation de Coopération et de Développement Économique, juin 2016.

[8] Gulati, R. et al (2019). « The Contribution of Project Manager’s Soft Skills to their Project Success ». ANZAM 2019, January 2020.

[9] Castro, M. et al. (2022). « Do the Project Manager’s Soft Skills Matter? Impacts of the PM’s Emotional Intelligence, Trustworthiness, and Job Satisfaction on Project Success ». Administrative Sciences, October 2022.

[10] PMI (2022). « Power Skills, Redefining Project Success ». PMI.org, Pulse of the profession®, November 2022.

[11] OECD (2019). « Skills for 2030 ». Organization for Economic Cooperation and Development, September 2020.

À propos des auteurs

Jacques Gaumond

Jacques Gaumond – M.Sc.A., PCC, Acc.Dir.

Coach, consultant et administrateur de sociétés

Jacques Gaumond agit à titre de coach professionnel et de consultant chevronné depuis plus de dix ans dans le domaine de la gestion et des affaires. Il accompagne des dirigeants et des gestionnaires d’entreprise ou d’organisation à améliorer l’impact de leur leadership sur le plan individuel ou de l’équipe. Jacques intervient aussi auprès d’organisations dans la préparation de la relève de direction, le développement des talents et la gestion du changement. Par ailleurs, il est conseiller certifié TRIMA depuis 2016, membre du chapitre Québec de l’Association of Change Management Professionals (ACMP) depuis 2015, membre de Mentorat Québec depuis 2022 et membre de l’International Coaching Federation depuis 2010.

Membre du Chartered Governance Institute of Canada depuis 2008, Jacques agit aussi à titre d’administrateur de sociétés depuis plus de vingt ans auprès d’entreprises à capital fermé ou d’organisations à but non lucratif.

Au préalable, Jacques a œuvré comme gestionnaire et cadre dirigeant dans le secteur des technologies de l’information et des services aux entreprises sur plus de trente ans, au Canada et à l’international. Il a acquis une expérience variée au sein de grandes et moyennes entreprises, dans des responsabilités d’ingénierie des systèmes, de marketing, de vente, de service à la clientèle, de services-conseils et de direction générale.

Passionné par l’impact des technologies de l’information et du développement des individus sur la performance des organisations, son parcours l’a souvent amené à être soit responsable de, collaborateur sur, ou en gouvernance de projets d’envergure notamment dans les secteurs de la technologie, de la construction et de la formation. Il continue à apprendre et à explorer de nouveaux moyens et outils afin de contribuer à la réussite de projets d’envergure ainsi qu’à l’épanouissement des membres de telles équipes-projet.

Jacques est détenteur d’un B.Sc. en informatique de l’Université de Montréal, d’une M.Sc.A. en télécommunications de Polytechnique Montréal et d’un diplôme en administration de HÉC Montréal.

Marisabelle S. Bérubé

Marisabelle S. Bérubé, M.Sc.

Consultante

Consultante et travailleuse autonome, Marisabelle S Bérubé détient une maîtrise en communication et est bachelière en psychosociologie de la communication de l’UQÀM. Elle a amorcé sa carrière dans le domaine des communications pour s’intéresser par la suite à l’évaluation de projets ainsi qu’au développement des compétences.

Marisabelle est réputée pour l’originalité et l’efficacité de ses accompagnements en planification stratégique et gestion d’organisme.

Conseillère certifiée TRIMA depuis 2006, elle implante et facilite le déroulement de groupes de codéveloppement professionnel. Membre de l’Association québécoise de codéveloppement professionnel (AQCP), elle siège à son conseil d’administration depuis janvier 2019. À titre de formatrice, elle a collaboré régulièrement avec les services de formation en entreprise, notamment pour développer et dispenser des cours en gestion des ressources humaines, communication et travail d’équipe.