PMIOléoduc, éoliennes, mines, construction urbaine, industries polluantes, gestion des cours d’eau, utilisation des pesticides, recyclage des appareils électroniques, taxe sur le carbone, entreposage de déchets dangereux, conditions d’élevage des animaux, accueil de migrants, aide médicale à mourir, légalisation de la marijuana: peu importe la déclinaison, certains projets suscitent une opposition dont doit tenir compte l’équipe de direction d’un projet afin d’en assurer la réalisation et l’atteinte des résultats souhaités.

Dans le domaine économique, les préoccupations ont beaucoup changé depuis une dizaine d’années. Partout et, particulièrement dans les sociétés industrialisées, l’acceptabilité sociale des projets est un concept dont on entend parler couramment aujourd’hui et qui traduit bien les nouvelles façons de gérer l’espace économique et social.

Malgré l’appui du gouvernement du Québec, plusieurs exemples récents de projets font état de l’importance à accorder au facteur de l’acceptabilité sociale. À titre d’exemple, on peut se demander ce qu’il en est de l’acceptabilité sociale dans le cas des éoliennes qui, malgré le support inconditionnel dont bénéficient ces projets de la part des groupes environnementalistes et écologistes, une résistance sociale apparaît.

Une telle situation nous amène à poser d’autres questions. Dans quelles mesures, le développement d’un projet peut-il faire l’unanimité dans les collectivités locales? Ce sont ces questions qui nécessitent des réponses urgentes en vue d’une reconfiguration des pratiques de gestion d’une entreprise souhaitant s’engager sur la voie du développement durable. Le présent article a pour objectif principal de proposer un cadre de réflexion utile au gestionnaire de projet qui s’intéresse à cette question d’ordre transversal.

 Qu’est-ce que l’acceptabilité sociale?

Dans la littérature scientifique, l’acceptabilité sociale reste encore peu définie. De nombreuses analyses se concentrent sur les dynamiques d’acteurs locaux de même que sur les enjeux au cœur des processus d’acceptabilité sociale, sans pour autant définir de manière précise ce qu’il faut entendre par cette notion. Cependant, voici une définition de Julie Caron-Malenfant et Thierry Conraud (qui date de 2009, extraite du Guide pratique de l’acceptabilité sociale : pistes de réflexion et d’action, Éditions DPMR) :

Résultat d’un processus par lequel les parties concernées conviennent ensemble des conditions minimales à mettre en placepour qu’un projet, un programme ou une politique s’intègre harmonieusement, à un moment donné, dans son milieu d’accueil. Selon cette définition, l’acceptabilité sociale est le résultat d’un processus de dialogue social entre le décideur ou le promoteur et les communautés concernées par le projet.

Si les décideurs ne s’entendent pas sur ce que signifie l’acceptabilité sociale, ils la reconnaissent comme enjeu majeur dans les projets. C’est donc par l’absence d’acceptabilité sociale qu’il est possible de constater l’existence d’un tel enjeu par l’entremise des mouvements de résistance citoyenne à l’égard d’un projet. Par exemple, le silence des citoyens peut signifier une acceptation du projet, mais l’absence de controverses peut aussi être causée par un manque de moyens de communication pour exprimer l’insatisfaction sociale à l’égard du projet. Puisque l’acceptabilité sociale se construit plus fréquemment sur la base d’un jugement de valeurs, l’auteure Corinne Gendron (2014, Penser l’acceptabilité sociale : au-delà de l’intérêt, les valeurs. Revue internationale-Communication publique et sociale, UQAM) en propose une définition plus appropriée:

L’acceptabilité sociale est l’: « …assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo ». Ce qui signifie une représentation de la qualité de la relation de confiance entre l’entreprise et la communauté tout au long de l’évolution du cycle de vie d’un projet.

Le Ministère de l’Énergie et des Ressources Naturelles a publié une étude préliminaire en novembre 2015 portant sur l’acceptabilité sociale des projets : « Conciliation des usages lors de la mise en valeur du territoire dans une perspective d’acceptabilité sociale », L’objectif concret de ce rapport est d’en arriver à modifier certaines lois pour revoir la séquence d’approbation des projets en tenant compte de leur acceptabilité sociale. Il analyse la situation selon quatre axes précis: le rôle du Ministère, les approches participatives, la prise en compte des répercussions et le partage des bénéfices.

La journaliste Martine Biron a fait un résumé du rapport sur le site de Radio-Canada le 26 novembre dernier.

Le volumineux rapport recommande à Québec d’amener les promoteurs à mieux communiquer, … travailler en amont, dès le début du projet, avec les citoyens. Les promoteurs devraient aussi être plus transparents et livrer toutes les informations liées au projet et, surtout, ils devraient poursuivre les démarches avec les citoyens durant tout le cycle de vie d’un projet. « L’accès à de l’information de qualité est un aspect fondamental de l’acceptabilité sociale », conclut le rapport dans ses recommandations, qui préconisent aussi d’« accroître la participation du public dans la planification du territoire ».

 Le gestionnaire de projet doit tenir compte du facteur acceptabilité sociale

Dans ce contexte, on voit l’importance que le gestionnaire de projet comprenne l’importance de bien communiquer les informations significatives reliées au projet et ses impacts sur la collectivité d’abord aux membres de son équipe mais également aux autres parties prenantes concernées.

Pour d’autres spécialistes, la notion d‘acceptabilité sociale est directement liée à la perception d’une menace qu’un projet peut laisser planer sur la vie ou la qualité de vie d’un milieu, donc sur l’utilisation des biens et des activités humaines de ce milieu. L’acceptabilité sociale est « l’acceptation anticipée d’un risque à court et à long terme qui accompagne, soit un projet, soit une situation ». Pour eux, une analyse coûts-bénéfices est généralement un préalable à l’évaluation du consentement à payer. Elle permet de trouver l’équilibre entre les craintes des uns et les bénéfices des autres.

Il existe nombreux indicateurs d’acceptabilité sociale. La définition de l’acceptabilité par les citoyens suppose :

  • Le citoyen au cœur du développement
  • Large consensus
  • Accès à l’information
  • Bénéfices pour la collectivité
  • Une révision du modèle de développement des projets

Ne pas ridiculiser les opposants – comprendre leurs motifs et leurs besoins Rapporté par Jean-Louis Chaumel, mars 2009, professeur à la retraite de l’UQAR «…Ce que j’ai appris des projets éoliens : cas de Rivière-du-Loup et Ste-Luce ».

Dans le cas des éoliennes, divers groupes qui se sont levés systématiquement partout au Québec sont un indicateur de la « non-acceptabilité » du modèle éolien choisi. Beaucoup efforts sont déployés afin de faire accepter collectivement certains projets, mais le même modèle de gestion ne peut pas s’appliquer à tous les projets compte tenu les spécificités locales. À mon avis, l’acceptabilité sociale est, en quelque sorte, une question de concertation, d’intérêts de chaque groupe de citoyens concernés par le projet. Alors il faut en tenir compte et négocier avec les citoyens. Ce constat doit être considéré par le gestionnaire de projet, particulièrement dans les projets qui ont un aspect environnemental. Il aura intérêt à s’en préoccuper tôt dans le processus, lors de la gestion des attentes des parties prenantes.

Vers une nouvelle approche d’intégration en management de projets – La gestion des attentes des parties prenantes…

Plusieurs modèles de gestion disponibles aujourd’hui nous permettent d’identifier les parties prenantes stratégiques. Ceux-ci sont uniquement applicables dans les premières phases du projet. Mais il n’existe pas d’approches spécifiques qui permettent de gérer les attentes des parties prenantes. Néanmoins le guide PMBOK, référentiel des connaissances en management de projets en fait mention. Pour la gestion de projet en mode PMBOK, la prise en compte de l’accessibilité sociale se résume à identifier les parties prenantes «sociales» et en tenir compte lors des communications durant le projet. Il mentionne que les parties prenantes identifiées dans la première phase du projet disparaissent avec le temps, mais d’autres les remplacent progressivement et avec parfois des attentes différentes.

Pour arriver à intégrer la notion d’acceptabilité sociale dans les projets, l’analyse des questions reliées au développement durable doit être intégrée tout au long du cycle d’un projet; comme le processus opératoire présenté plus bas. À l’exemple d’une approche de management plus responsable, la démarche parvient désormais à intégrer les intérêts de l’ensemble des parties prenantes dans les processus décisionnels. Les groupes d’intérêts locaux, dont les citoyens, les regroupements politiques, les associations locales, etc. doivent participer et être informés régulièrement de l’évolution du projet durant toutes les phases de sa réalisation.

Démarche en cinq temps

Voici une démarche proposée pour parvenir à une meilleure intégration des parties prenantes stratégiques.

  1. Identifier tous les groupes d’intérêts et durant toutes les phases du projet
  2. Mesurer leur potentiel de collaboration ou de menace;
  3. Amorcer un processus d’accompagnement des groupes d’intérêts;
  4. Établir un plan de communication;
  5. Envisager leur intégration de façon continue durant la réalisation du projet;

 Conclusion – Changer nos habitudes, pour pouvoir bien agir

L’acceptabilité sociale est aujourd’hui une notion incontournable dans la nouvelle réalité des projets. La considération des parties prenantes tout au long de chaque phase dans le cycle d’un projet est un facteur important qui peut contribuer à réduire les risques de dérapage d’un projet. Si de nombreux projets ne sont pas livrés à l’intérieur des limites de temps fixées au préalable – voire bloqués définitivement, pour une partie des cas, il est possible que ce soit parce que les considérations sociétales n’ont pas été prises en compte dans la planification du projet.

L’acceptabilité sociale n’est pas affaire de sondages positifs ou de quantité de mémoires favorables. Elle est plutôt une question de concertation ou de négociation. L’acceptabilité sociale est aussi une réalité friable et évolutive. Elle est donc dynamique et contextuelle. Pour réduire ses effets néfastes, il est suggéré de:

  • Impliquer davantage les entreprises locales dans les processus de consultation;
  • Communiquer des informations pertinentes durant la réalisation du projet;
  • Considérer le facteur politique dans les stratégies de gestion du changement;
  • Négocier pour mieux concerter;
  • Former (éduquer) les élus locaux, s’il y a lieu;
  • Ne pas ridiculiser les opposants, car la meilleure solution est de comprendre leurs motifs et leurs besoins et d’essayer de concilier les points de vue

Les entreprises qui auront les meilleurs résultats à long terme seront celles qui arrivent à conjuguer simultanément l’environnement, l’économie et une responsabilité vis-à-vis des communautés locales. Cette responsabilité n’a de raison d’être et de pérennité que si elle s’inscrit dans une approche « gagnant – gagnant ».

 Présentation de l’auteur

Jean-Gynse Bolivar œuvre dans le domaine de la gestion de projets depuis 2001. Il a été chargé de projets au sein des entreprises (Québec et Haiti). Aujourd’hui, il est doctorant-chargé de cours en gestion de projets, management et formation & développement des ressources humaines (Université du Québec à Chicoutimi).

Chercheur en management de projets à l’Université du Québec à Chicoutimi, il complète ses études de doctorat dans ce domaine. Ses travaux portent sur l’élaboration d’un profil type de chef de projets apte à intégrer le développement durable en management de projets.

Économiste de formation, il détient une maîtrise en gestion de projet. Monsieur Bolivar est auteur, conférencier et formateur en entreprise. Il est certifié formateur des adultes en milieu de travail (agréé par la commission des partenaires du marché du travail).

Ces dernières années, il a développé une expertise reconnue dans la gestion des projets de développement durable. Il a publié plusieurs articles qui portent sur la gestion de projets et un livre : « Vers une intégration du développement durable en gestion de projet. Comment intégrer les questions d’environnement et du développement durable dans l’ensemble des méthodologies de la gestion de projet» : cas du projet hydroélectrique de l’Eastmain-1-A (Baie-James). ISBN : 978-613-1-57431-3.

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