[vc_row][vc_column][vc_column_text]Hybride : L’avenir des projets… et des organisations
Le niveau de complexité et le rythme des changements augmentent exponentiellement dans pratiquement tous les domaines. La gestion de projet n’y échappe pas.
La méthode prédictive traditionnelle de gestion de projet qui était auparavant l’approche largement reconnue a été mise au défi au tournant du millénaire par l’apparition de nouvelles méthodes de gestion de projet dites « agiles ».
L’implantation de ces méthodes agiles engendre des impacts qui excèdent la gestion des projets proprement dite. En pratique, au niveau organisationnel, l’intégration réussie des méthodes agiles requiert des ajustements non seulement dans la façon d’encadrer la réalisation des projets, mais aussi au niveau du bureau de projet et de la structure même de l’organisation. Voyons de quoi il en retourne.
Hybride et agilité organisationnelle, même combat!
Les méthodes agiles[1], qui proviennent d’un désir d’accroître la performance et les résultats obtenus par rapport à la méthode prédictive[2] traditionnelle, sont apparues en tant qu’alternative à la méthode traditionnelle, voire même en guise remplacement à celle-ci. Certains tenants de l’agilité prédisant même que les méthodes agiles allaient causer la disparition pure et simple de la méthode traditionnelle. Or, après plus de dix ans d’implantation intensive des méthodes agiles, force est de constater que même si elles ont pris une part importante du marché, dans plusieurs secteurs la méthode traditionnelle est toujours employée. Pourquoi? Tout simplement parce que chaque méthode possède ses avantages et inconvénients[3], dépendamment de la situation, des besoins et du contexte. Et que le contexte est ce qui devrait dicter la méthode à employer[4].
Image tirée de https://blog.frogslayer.com/wp-content/uploads/2015/05/agile-vs-waterfallmethod.png
La prochaine décennie semble se diriger vers une hybridation organisée des méthodes et de leur utilisation en fonction du contexte[5]. Pour la plupart des organisations, ceci implique de devoir se structurer de manière à pouvoir réaliser des projets autant en mode traditionnel, qu’agile. Ce qui correspond au mode hybride.
Comme on parle ici de projets, à première vue il apparaît naturel de penser que l’implantation de méthodes agiles (ou une hybridation) concerne seulement les projets. Et effectivement, durant les dernières années de nombreuses organisations ont adopté cette position, croyant que de mettre en place des équipes agiles allait suffire à rendre l’organisation « agile ». Or, cette approche qui procède du bas vers le haut a vécu son lot d’obstacles. Ce qui est tout à fait normal. Car modifier les façons de faire au niveau des projets implique davantage que de mettre en place des équipes de projet opérant dans un nouveau mode.
Rapidement, les organisations ayant opté pour une approche du bas vers le haut ont constaté que la mise en place d’équipes agiles créait de nombreux impacts à des niveaux qui excédaient celui des projets. Réaliser des projets en mode agile affecte de nombreux aspects organisationnels périphériques[6], tels les approvisionnements, les contrats, la conformité, le financement, etc. Et ce sans parler de la perspective d’une décentralisation de responsabilité et de l’implication accrue et active des dirigeants qui devient incontournable!
On le voit, mettre en place des équipes agiles n’est qu’une composante d’une transformation plus vaste, qui dans les faits touche à l’ensemble de l’organisation. On parle alors d’agilité organisationnelle.
Quel est le lien avec l’hybride? En fait, les concepts d’hybride et d’agilité organisationnelle sont intimement liés. Car malgré notre perception première, une organisation agile ne fonctionne pas nécessairement dans un pur mode agile du plancher au plafond, mais est plutôt capable de juxtaposer les différentes approches et de les gérer aussi efficacement l’une que l’autre pour générer de la valeur dans son contexte propre. Ce qui signifie qu’à sa base une organisation agile est hybride, tel que l’affirment Aghina et ses collaborateurs de McKinsey en mentionnant que « La capacité d’être à la fois stable et dynamique [est] l’essence de la véritable agilité organisationnelle [7]. » Nous y reviendrons.
Image tirée de https://www.ninelabs.com/hubfs/hero-waterfall-agile-and-hybrid-project-management.jpg
Hybride : Les implications
L’hybridation, ou la capacité de gérer des projets en mode traditionnel ou agile affectent trois niveaux de l’organisation fonctionnant de manière imbriquée, telle des poupées gigognes. Ces trois niveaux sont :
- Le niveau Projets
- Le niveau Bureau de projet
- Le niveau Organisationnel.
Voyons les implications de l’hybridation pour chacun de ces trois niveaux.
1. Niveau Projets
Au niveau des projets, outre ce qui a déjà été mentionné, l’hybridation implique que les meneurs de projets et les membres des équipes doivent être en mesure d’appliquer les différentes méthodes existantes, voire même, lorsque la maturité augmente, de prendre certains éléments de différentes méthodes pour appliquer ce qui convient le mieux à la situation.
Les principaux défis ici reposent sur la connaissance et la maîtrise des différentes méthodes, et les rôles des meneurs de projets qui deviennent variables.
Concernant l’enjeu de la connaissance, la nouvelle réalité de l’hybridation force les gestionnaires de projets être davantage formés afin de maîtriser plusieurs méthodes. Ce n’est qu’en les connaissant que les gestionnaires de projets seront en mesure d’effectuer des choix judicieux quant à la méthode à choisir pour un projet donné.
Concernant les rôles, la méthode traditionnelle implique l’assignation d’un chef de projet responsable de la livraison de l’ensemble du projet, tandis que les méthodes agiles remplacent généralement le rôle de chef de projet par les rôles de Product Owner (PO) et de Scrum Master (SM) [8]. En mode hybride il faut donc d’entrée de jeu préciser la ou les méthodes choisies et déterminer les types de rôles qui s’appliqueront au niveau de la gouvernance et de la gestion du projet. Pour les gestionnaires de projets, se trouve ici un enjeu de polyvalence accrue dans la capacité de migrer d’un type de rôle à l’autre, ou au minimum pour en comprendre la réalité afin de pouvoir interagir efficacement avec les différents meneurs d’équipes.
2. Niveau Bureau de projets
Au niveau du soutien et de l’encadrement des projets, en général assuré par un bureau de projets[9], l’hybridation implique que le bureau de projets soit en mesure de suivre le déroulement de projets se déroulant dans divers modes de réalisation. Cette capacité de fonctionner autant en mode agile que traditionnel implique naturellement de réfléchir à des indicateurs de performance différents et adaptés selon que l’on suive un projet réalisé en mode traditionnel ou agile. Mais il y a plus.
Les recherches démontrent en effet que la performance des bureaux de projet classiques implantés en grand nombre durant les dernières décennies est de manière générale décevante. Selon plusieurs études, la recette développée durant les années 1990 et qui fût depuis implantée à grande échelle sur le marché, a mené à l’implantation de bureaux de projet qui de façon générale « ne satisfont pas les hauts dirigeants » (Ward et Daniel, 2013)[10], « ne génèrent pas la valeur espérée au départ » (Darling et Whitty, 2016)[11], et qui en conséquence « ont une durée de vie éphémère » (Müller, Clücker et Aubry, 2013)[12].
Devant ce constat mitigé, depuis 2017 le PMI prône d’adopter une nouvelle approche qui comporte principalement trois volets à ajuster[13]. Le bureau de projet devrait dorénavant être en mesure de :
- Gérer à la fois des projets réalisés en mode traditionnel et agile
Ce qui correspond à un bureau de projet hybride[14], tel qu’expliqué plus haut. Au-delà du fonctionnement des équipes de projet, cette capacité de fonctionnement hybride implique automatiquement de devoir ajuster la configuration logicielle afin d’être en mesure de regrouper et suivre les informations relatives à des projets menés en mode traditionnel ou agile, tout en permettant, au niveau du portefeuille de projets, de consolider de manière logique et compréhensible les informations provenant de ces projets.
- Représenter et satisfaire l’ensemble de l’organisation.
Ce volet implique que le bureau de projet devrait dorénavant inclure des membres provenant de plusieurs secteurs de l’organisation et non pas seulement des gens du secteur des projets comme cela a trop souvent été le cas par le passé. Cette inclusion de membres provenant de l’ensemble de l’organisation crée un bureau de projet de type entreprise (EPMO ou Enterprise-Wide Project Management Office), souvent baptisé « Bureau de la transformation »[15] en français. Bien entendu, comme toujours l’alignement de la stratégie et des projets y demeure un enjeu fondamental qui encore aujourd’hui est souvent négligé ou mal compris. [16], [17]
- Adopter un angle affaires
Traditionnellement le bureau de projet adoptait de facto un angle projet. Ce qui semble logique et naturel. Cet angle projet influence aussi bien les actions menées par le bureau de projet que sa structure. Or, comme mentionnées précédemment, plusieurs études indiquent que les bureaux de projet ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs et à satisfaire les dirigeants. Pour améliorer la performance et la génération de valeur, le PMI prône dorénavant d’adopter un angle affaires qui vise à aligner la structure et les actions au contexte et aux attentes particulières des dirigeants de l’organisation. Les besoins, attentes et priorités variant d’une organisation à l’autre, l’adoption d’un angle affaires implique que le bureau de projet devienne une entité configurée sur mesure. Évidemment, définir et implanter un bureau de projet sur mesure exige plus de temps et d’efforts en amont. Mais cela semble être le prix à payer pour recueillir en bout de piste la valeur attendue.
L’ajustement de ces trois volets montre que les impacts de l’hybridation au niveau des projets excèdent le niveau de la réalisation des projets proprement dits.
Les modifications à effectuer obligent en effet à revoir de façon globale la configuration du bureau de projet afin de le construire non pas comme une simple recette reproduite d’organisation en organisation[18], mais bien sur mesure pour répondre aux besoins et au contexte d’une organisation spécifique.
La suite le mois prochain.
Présentation de l’auteur
Bernard Plante, ing., MBA, PMP, SA – BPM Stratégie & Projets
Ingénieur, détenteur d’un baccalauréat et d’une maîtrise en administration de l’Université Laval, certifié PMP depuis 2008 et récemment certifié SAFe Agilist, Bernard Plante est consultant et formateur à l’Université Laval où il s’est vu décerner un Prix d’excellence en enseignement en 2019.
Monsieur Plante est le créateur du tout premier parcours exécutif offert par l’Université Laval. Il enseigne également la gestion stratégique de projets, la gestion de la complexité ainsi que l’agilité organisationnelle et la performance.
Ayant débuté sa carrière dans le secteur manufacturier, monsieur Plante a par la suite géré de nombreux projets technologiques et stratégiques. Observateur attentif du fonctionnement des organisations, il a au fil des ans développé une vision et une approche unique pour accroître l’agilité et la performance des organisations dans un monde de plus en plus complexe où les changements se succèdent à un rythme soutenu.
[1] Le terme « méthodes agiles » regroupe plusieurs méthodes, telles Scrum, Kanban, Scrumban, etc.
[2] Par « méthode prédictive » on entend une méthode qui tente dès le début du projet de prédire avec précision l’ensemble des livrables finaux et le déroulement du projet, le tout menant à des échéanciers et des budgets préétablis.
[3] Jordan, A. (2020). « Is Agile All We Need? ». Project Management.com. https://www.projectmanagement.com/articles/652356/Is-Agile-All-We-Need-
[4] Par exemple, l’approche « Disciplined Agile » (dont les droits ont été achetés par le PMI en 2019 et qui teintera visiblement la refonte majeure vers la version 7 du PMBoK) porte un fort accent sur l’importance de tenir compte du contexte pour choisir la méthode agile à adopter. À ce sujet, voir Ambler, S. W. et Lines M. (2019). « An Executive’s Guide to Disciplined Agile – Winning the Race to Business Agility ». Disciplined Agile Inc., p. 25.
[5] L’utilisation des méthodes en fonction du contexte se trouve au cœur de la refonte majeure du référentiel de gestion de projet Project Management Book of Knowledge (PMBoK) version 7 à paraître d’ici la fin de 2020.
[6] À ce sujet, voir la vidéo humoristique « I want to run an agile project » (2011) qui montre bien certains des impacts et obstacles à surmonter lors de l’implantation de l’agilité dans la réalisation des projets. https://www.youtube.com/watch?v=4u5N00ApR_k
[7] Aghina et al. (2016: 2) cités dans Gunsberg et al. (2018). « Applying an organisational agility maturity model ». Journal of Organizational Change Management. Vol 31, No 6, p. 1321.
[8] À noter que dans les grandes organisations, les projets majeurs agiles ou comportant des volets agiles bénéficient généralement d’un chef de projet qui supervise l’ensemble du projet, mais en ajout le chef de projet interagit alors avec un ou des Product Owners responsables de la priorisation et du suivi des livrables du projet, et avec un ou des Scrum Masters responsables d’animer les équipes. La présence des différents rôles et leur imbrication sont donc variables en fonction du contexte!
[9] Le bureau de projet peut prendre différentes appellations. En agilité le terme « Centre d’excellence » est souvent utilisé. Mentionnons que les participants au Gartner Program and Portfolio Management Summit 2017 ont suggéré de remplacer le terme « Bureau de projet » par « Bureau d’exécution stratégique ». À notre avis cette dernière expression représente beaucoup mieux le rôle réel que devrait jouer un bureau de projet à l’échelle de l’organisation.
[10] Ward, J. et E. M. Daniel (2013) – «The role of Project Management Offices (PMOs) in IS Project Success and Management Satisfaction». Journal of Enterprise Information Management, Vol. 26 No. 3, p. 316.
[11] Darling, E. J. et S. J. Whitty (2016). «The Project Management Office – It’s Just Not What It Used to Be». International Journal of Managing Projects in Business, Vol. 9 No. 2, p. 302
[12] Müller, R., J. Glücker et M. Aubry (2013). «A Relational Typology of Project Management Offices». Project Management Journal, Vol. 44 Issue 1, p. 60.
[13] Ces trois volets ont été présentés par le PMI É.-U. dans le cadre de la formation « Building the Hybrid PMO Workshop » auquel l’auteur de cet article a assisté lors du PMI Global Conference – Seminars’ World 2017 à Chicago.
[14] À noter que le cadre Scaled Agile Framework (SAFe), qui connaît une popularité grandissante auprès des organisations, prône de carrément remplacer le bureau de projet traditionnel (PMO) par un bureau de projet agile (APMO). Toutefois, en parallèle, la version SAFe 5 parue au début de 2020, précise pour la première fois que le cadre SAFe est prévu pour une utilisation en tant que « second système » et non pas comme unique système pour l’ensemble de l’organisation tel qu’on le laissait sous-entendre dans les versions précédentes (voir à ce sujet la page de Scaled Agile sur la « Business Agility », et plus particulièrement la figure 6 intitulée « SAFe as a second organizational operating system » https://www.scaledagileframework.com/business-agility/). Donc, si SAFe doit être utilisé en tant que « second système » (avec son bureau de projet agile correspondant), cela implique automatiquement que le reste de l’organisation (ou le « système primaire ») qui fonctionne en mode traditionnel devrait continuer de recourir aux services d’un bureau de projet traditionnel. Ainsi, au niveau de l’ensemble de l’organisation on se retrouve bien avec un bureau de projet hybride!
[15] Project Management Institute® (2018). « Réussir en des temps perturbés | Agrandir le paysage de la concrétisation d’une valeur pour endiguer le coût élevé des faibles performances. », p. 16.
[16] Idem, p. 4.
[17] Voir notre page sur l’agilité stratégique : https://www.bpmsprojets.com/strategie-projets/agilite-strategique/
[18] À ce sujet, voir l’article de De Carlo, D. (2017). «The core message to PMOs: Innovate or Disintegrate»: https://www.projectmanagement.com/articles/388489/The-Core-Message-to-PMOs–Innovate-or-Disintegrate[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]