[vc_row][vc_column][vc_column_text]Suite (2 de 2)
En septembre dernier (réf. Bulletin de septembre 2020), nous avons vu qu’en gestion de projet l’arrivée des méthodes agiles force les organisations à ajuster leur capacité pour gérer les projets menés autant en mode agile que traditionnel. Que cet ajustement touche à trois niveaux de l’organisation, soit les niveaux 1) projets, 2) bureau de projets et 3) organisationnel.
Après avoir couvert les implications liées au niveau des projets et du bureau de projets, voyons maintenant les implications sur le troisième niveau, celui de l’organisation.
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3. Niveau organisationnel
De plus en plus on parle d’agilité organisationnelle. Or, un sondage mené par Manpower[1] indique qu’alors que 78 % des répondants trouvent important le rôle de l’agilité organisationnelle pour atteindre les objectifs d’affaires, seulement 4% d’entre eux indiquent que leur organisation avait démontré un engagement réel à accroître cette agilité organisationnelle. Il semble donc qu’un certain flou persiste quant à savoir ce qu’est vraiment une organisation agile. Voyons de quoi il en retourne.
Les trois niveaux (projet, bureau de projets, organisationnel) vus précédemment fonctionnent de manière imbriquée. Selon cette vision, il est attendu que la gouvernance au sommet de l’organisation a un impact sur le déroulement des projets. En effet, une récente revue de la littérature indique que bien qu’il existe sur le marché « plusieurs types de méthodologies de gestion de projet appropriées, l’usage et la sélection [de la méthode à employer] dépendent principalement de la gouvernance de l’organisation[2]. »
Encore davantage à un moment où les organisations cherchent à devenir plus agiles, et donc entre autres à se transformer pour être en mesure de réaliser plus de projets plus rapidement. Dans une telle situation il devient essentiel, malgré les réticences immédiates d’une forte majorité de hauts dirigeants de s’attaquer à cet aspect, de réfléchir à la configuration de l’organisation elle-même dans son ensemble.
Car si l’utilisation de diverses méthodes dans la réalisation des projets présente un impact sur les gens de projet et sur le bureau de projets, il est logique que le mode de réalisation hybride présente aussi un impact sur l’ensemble de l’organisation. Ou dit autrement, il est difficile d’imaginer comment une organisation peut espérer devenir une véritable organisation agile sans réfléchir, au plus haut niveau, sur la façon de planifier, d’organiser, de coordonner et de soutenir les efforts investis en projet, ainsi que sur les liens qui unissent les projets et les opérations courantes afin d’arrimer le tout de façon systémique.
Comme mentionné précédemment, une organisation agile est davantage qu’une organisation dont les équipes réalisent des projets en mode agile. En réalité, mettre en place une organisation agile implique de revoir le mode de fonctionnement global de l’organisation. Pour la vaste majorité des organisations, ceci implique impérativement de mettre en place les bases nécessaires au fonctionnement de l’agilité organisationnelle[3], et presque assurément de devoir modifier et ajuster la structure même de l’organisation.
Revoir le mode de fonctionnement global de l’organisation porte à réaliser que la façon optimale de parvenir à l’objectif d’obtenir une organisation agile passe par une approche du haut vers le bas plutôt que du bas vers le haut[4]. D’ailleurs, les transformations procédant du bas vers le haut, telles que la plupart des transformations organisationnelles tentées à ce jour, échoueraient selon la littérature scientifique dans une proportion de 70%[5].
Étant donné qu’une transformation agile implique l’ensemble de l’organisation, il est logique d’aborder le problème par le haut en adoptant une vision systémique. Ce qui mène à réfléchir, dès le tout début de la transformation à la structure organisationnelle.
Évidemment, se lancer dans une transformation de structure peut faire peur à première vue. Surtout sachant qu’outre l’idée générale que l’on peut s’en faire en se référant à l’organigramme, les implications concrètes de la structure sur le fonctionnement quotidien d’une organisation sont en grande partie invisibles, rendant la notion de structure abstraite pour de nombreuses personnes.
Non seulement la structure est-elle largement invisible, mais de façon générale elle est aussi tenue pour acquise sous sa forme actuelle. Ainsi, on ne comprend pas trop pourquoi on devrait la modifier alors qu’elle semble fonctionner. Pourtant, que la structure fonctionne présentement ne signifie pas pour autant qu’elle fonctionne dans une optique d’organisation agile!
Ces difficultés de perception expliquent fort probablement pourquoi plusieurs dirigeants sont réticents à se lancer dans une telle transformation, ne percevant pas à première vue que la solution pour parvenir à une organisation agile passe inévitablement par une révision et un ajustement de la structure et des façons de faire.
Comme le souligne le spécialiste des structures organisationnelles J. R. Galbraith (2010) : « Peu de dirigeants considèrent [la structure de] l’organisation comme une source d’avantage [compétitif]. Pourtant, elle correspond au critère clé : il est difficile de mettre en place des organisations multidimensionnelles créatrices de valeur, et elles sont difficiles à copier. Les nouveaux designs organisationnels méritent donc d’être placés dans l’arsenal des armes de compétitivité du dirigeant.[6] »
En pratique, à moins que l’organisation ait au départ été conçue dans une optique de haute agilité (ce qui peut être le cas de récentes et souvent petites organisations), il est impossible de penser rendre une organisation existante agile sans modifier le cadre sur lequel s’appuie l’entièreté de son fonctionnement et à l’intérieur duquel évoluent les personnes.
Changer le cadre est donc le point de départ vers davantage d’agilité organisationnelle[7].
Comme dans le cas des bureaux de projet où une configuration sur mesure dont l’implantation requiert davantage d’énergie et de réflexion que celle reposant sur une recette préétablie est le prix à payer pour ultimement générer la valeur attendue, le prix à payer pour générer la valeur au niveau organisationnel semble reposer sur la volonté des dirigeants d’attaquer le problème de front, de façon systémique et structurelle. Car une telle approche semble beaucoup plus susceptible de générer au final la valeur attendue[8].
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Quel est le lien avec le concept de l’hybridation?
Au niveau organisationnel, le concept de l’hybridation concerne la capacité de l’organisation à juxtaposer différentes structures et à les faire travailler en harmonie. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les gens de McKinsey affirment que « La capacité d’être à la fois stable et dynamique [est] l’essence de la véritable agilité organisationnelle[9]. » Ceci signifie que pour devenir réellement agile à une échelle organisationnelle, l’organisation doit ajuster sa structure, ses processus, ses activités et sa gouvernance de manière à garantir la stabilité et la fiabilité d’un côté, la dynamique et l’agilité de l’autre. En pratique, cette obligation implique généralement de trouver un équilibre entre le fonctionnement d’une structure fonctionnelle classique (de loin la structure organisationnelle la plus répandue) jumelée à une structure en réseau de l’autre, tel que préconisé entre autres par John Kotter de l’Université Harvard[10]. Et finalement, d’implanter une gouvernance qui permet aux deux parties de travailler de concert, en synergie.
La structure hybride est donc de façon générale l’assise sur laquelle s’appuie et prend forme une organisation agile.
Résumé de la situation
À ce jour, la majorité des organisations ayant implanté l’agilité l’ont fait en commençant au niveau projets par l’implantation d’équipes fonctionnant en mode de réalisation agile plutôt que traditionnel. Cette approche du bas vers le haut a rencontré de nombreux obstacles au fil du temps. Le reste de l’organisation demeurant inchangé, les exigences liées à l’agilité restent souvent incomprises par les gens continuant de fonctionner de la façon habituelle ailleurs dans l’organisation.
Non seulement une telle implantation du bas vers le haut est énergivore, mais à plus long terme elle crée certaines frictions, voire une scission entre ceux qui désirent travailler de façon agile et le reste de l’organisation. Dans un tel contexte de division, l’obtention d’une réelle valeur ajoutée à une échelle organisationnelle devient ardue, comme le souligne AXELOS dans son récent guide AgileSHIFT en affirmant que « L’introduction d’une méthode de travail agile dans une partie de l’organisation, bien que potentiellement efficace au niveau local, est peu susceptible de générer un bénéfice organisationnel[11] ».
Pour cette raison, il semble de loin préférable d’opter pour une implantation qui procède du haut vers le bas. Une implantation qui dès le départ implique les hauts dirigeants et qui suit un plan de match prenant en considération le fait que la transformation envisagée touche l’ensemble de l’organisation. Cette façon de procéder permet de déployer les actions de manière logique et ordonnée en fonction d’une vision systémique et d’éviter de créer, sans s’en rendre compte, deux clans fonctionnant unilatéralement et en opposition chacun de leur côté en perdant de vue les orientations organisationnelles.
Conclusion
L’avenir des projets et des organisations semble passer par l’hybridation. Hybridation commençant au niveau des méthodologies et de la réalisation des projets, qui affecte ensuite la configuration du bureau de projets, et finalement la configuration de l’organisation dans son ensemble.
Ces vastes modifications exigent une réflexion rigoureuse quant aux structures, aux rôles et aux processus en place. L’objectif étant d’aboutir à une organisation véritablement agile, capable de réaliser plus rapidement ses projets, de s’adapter plus efficacement aux besoins et de livrer plus de valeur.
Comme à l’habitude, les gestionnaires de projets et leurs équipes se retrouvent au front, à l’avant-plan de ces transformations. Mais pour réussir, cette fois-ci plus encore qu’auparavant, le succès dépend de l’implication active de celles et ceux qui possèdent la capacité d’orienter la destinée de l’organisation au plus haut niveau : ses dirigeants.
Présentation de l’auteur
Bernard Plante, ing., MBA, PMP, SA – BPM Stratégie & Projets
Ingénieur, détenteur d’un baccalauréat et d’une maîtrise en administration de l’Université Laval, certifié PMP depuis 2008 et récemment certifié SAFe Agilist, Bernard Plante est consultant et formateur à l’Université Laval où il s’est vu décerner un Prix d’excellence en enseignement en 2019.
Monsieur Plante est le créateur du tout premier parcours exécutif offert par l’Université Laval. Il enseigne également la gestion stratégique de projets, la gestion de la complexité ainsi que l’agilité organisationnelle et la performance.
Ayant débuté sa carrière dans le secteur manufacturier, monsieur Plante a par la suite géré de nombreux projets technologiques et stratégiques. Observateur attentif du fonctionnement des organisations, il a au fil des ans développé une vision et une approche unique pour accroître l’agilité et la performance des organisations dans un monde de plus en plus complexe où les changements se succèdent à un rythme soutenu.
[1] Sondage Manpower effectué pour la région Australie-Asie cité dans Gunsberg, D. et al. (2018). « Applying an organisational agility maturity model ». Journal of Organizational Change Management. Vol 31, No 6, p. 1319.
[2] Peterson, K. W. (2020). « Project Management Office Performance Variables that Influence Project Success: A Correlation Study ». Capella University, p.96.
[3] Par exemple, le cadre SAFe considère que l’agilité organisationnelle s’appuie sur sept « compétences de base » devant être présentes pour favoriser la réussite d’une transformation agile. Pour en savoir plus, voir https://www.scaledagileframework.com/safe-for-lean-enterprises/
[4] À ce sujet, voir notre page sur l’agilité organisationnelle (https://www.bpmsprojets.com/performance-organisationnelle/agilite-organisationnelle-integrale/) qui explique comment une approche du haut vers le bas permet de procéder à l’implantation de l’agilité en suivant un plan de match logique établi au départ au sommet plutôt que par à-coups au fil des obstacles rencontrés.
[5] McKinsey (2019). Why do most transformations fail? A conversation with Harry Robinson. https://www.mckinsey.com/business-functions/transformation/our-insights/why-do-most-transformations-fail-a-conversation-with-harry-robinson
[6] Galbraith, J. R. (2010). «The Multi-Dimensional and Reconfigurable Organization». Organizational Dynamics 39 (2). p. 124.
[7] Par souci de concision le présent article n’aborde pas l’aspect fondamental de la culture organisationnelle et de la philosophie de gestion (« Agile Mindset »). Cet aspect devant transcender l’organisation touche au type de gouvernance, de leadership, d’apprentissage en continu et d’innovation devant exister au sein d’une organisation agile. L’aspect culturel est intimement lié à la façon de penser et de gérer des dirigeants et demeure essentiel pour espérer obtenir une véritable organisation agile.
[8] Linda Holbeche du Imperial College Business School de Londres, UK, suggère que le seuil élevé de 70% d’échecs des transformations organisationnelles pourrait être dû au fait que « la gestion du changement conventionnelle tend à travailler de façon linéaire et planifiée, et que les organisations en général n’auraient pas encore appris à changer l’organisation en adoptant une vision systémique. » Voir Holbeche, L. (2019). « Designing sustainably agile and resilient organization ». Wiley System Research and Behavior Science 36, p. 669. https://doi.org/ 10.1002/sres.2624
[9] Aghina et al. (2016: 2) cités dans Gunsberg et al. (2018). « Applying an organisational agility maturity model ». Journal of Organizational Change Management. Vol 31, No 6, p. 1321.
[10] Kotter, John P. (2014). «Accelerate: Building Strategic Agility for A Faster Moving World ». Harvard Business Review Press.
[11] AgileSHIFT (2018). «A guide to AgileSHIFT». AXELOS Limited, p. 30.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]