NDLR – Mme Schutte offre des services de consultation au niveau international à partir de ses bureaux de Londres. Son article aborde un sujet relativement méconnu du domaine de la gestion de projet. Il s’agit de la relation qui existe entre la gestion de projet et les aspects juridiques qui en découlent. L’accent est mis sur le domaine de la construction mais on peut facilement faire le lien avec d’autres disciplines. Bonne lecture !

Prise en charge croissante des aspects juridiques en gestion des projets

En 2016, ce thème a beaucoup été discuté lors de formations auprès de gestionnaires de projet de plusieurs chapitres du PMI et aussi de l’APM (Association of Professionals Managers- Royaume-Uni qui est aussi membre de l’Association Internationale des Gestionnaires de Projets (IAPM).Il a également fait l’objet d’un webinaire donné en primeur au chapitre du PMI Royaume-Uni (janvier 2016). Il visait à introduire ses membres aux aspects juridiques du rôle de gestionnaire de projet (GP).

Les réactions furent très encourageantes, car il a été reconnu par le Chapitre un besoin de comprendre en quoi la loi pourrait avoir un impact sur la profession. Les GP souhaitaient eux-mêmes en savoir plus sur le sujet. C’est pourquoi les prochaines étapes associées à cette formation sont en cours de réalisation.

Ce besoin de formation est également exploré avec d’autres chapitres du Canada principalement en Ontario (SWOC) et au Québec (PMI Lévis-Québec et Montréal). Dans ce contexte, le PMI Lévis-Québec a sollicité cet article, au bénéfice de ses membres. Notez qu’une présentation sur ce sujet sera donnée au Royaume-Uni en janvier 2017 et qu’elle le sera au chapitre du PMI New York, en 2017, et espérons-le, à Montréal prochainement.

Impacts de la méconnaissance des aspects juridiques liés à la gestion des projets ?

Pour le GP, il y a des risques associés à la méconnaissance des aspects juridiques reliés à sa prestation. Cependant, respecter ses obligations de service en considérant les contraintes de la loi et celles du contrat à livrer n’est pas toujours facile. Le GP sera donc bien avisé de les connaître pour être en maîtrise de ces éléments et diriger le projet avec succès.

Les impacts peuvent être significatifs pour le GP, son organisation ou le projet : les risques incluent les dommages à la réputation, les dommages-intérêts à la suite de réclamations ou litiges. Il faut que le GP les évite !

Le Canada, comme au Royaume-Uni (RU) et les États-Unissont probablement les trois pays les plus avancés dans le monde en gestion de projet. Il est admis qu’une majorité de leurs gestionnaires de projet sont considérés comme « bons», mais peu d’entre eux sont reconnus comme étant « exceptionnels ». Dorénavant, s’ils désirent ajouter de la valeur au projet de leurs clients, les gestionnaires de projet devront s’améliorer par le biais d’un élargissement de leurs compétences. Ceux qui se démarqueront vont devenir des « gestionnaires de projet de choix ». Sans pour autant que, dans les années qui viennent, les difficultés soient différentes: un terrain légal et réglementaire miné ainsi que des budgets et délais généralement serrés.

Alors, que doivent faire les gestionnaires de projet pour se positionner en tête du peloton ?

Contribution du PMI

Le PMI détient la clé du développement des individus et de l’amélioration de la qualité d’une profession à large spectre qui comprend, non seulement les industries du bâtiment et d’ingénierie, mais aussi l’informatique, la finance, les produits, la santé et d’autres disciplines. Ces aspects positifs représentent aussi l’un de ses plus grands défis.

Premier aspect juridique: Quel est le rôle d’un gestionnaire de projet (GP) dans l’industrie en général ?

Le GP est embauché par le « Client » pour être ses yeux et ses oreilles et son attention principale porte sur la bonne administration du contrat. Ce mandat précis contient, en réalité, deux contrats majeurs:

  • le contrat du projet : qui détermine les actions spécifiques requises du GP vis-à-vis la relation entre le Client et le principal entrepreneur (ou par exemple, un intégrateur en informatique);
  • la nomination professionnelle entre le Client et le GP est le contrat par lequel le client choisit son représentant pour diriger la réalisation du projet. Ce sont les services qui vont être fournis par le GP au Client.

La question est de savoir comment réaliser un projet si deux contrats demandent au GP des choses différentes? Un problème pratique et juridique existe !

Deuxième aspect juridique: le gestionnaire de projet est-il indépendant ?

Oui et non. Le GP est embauché (payé) par le Client et agit pour lui. Néanmoins, au R-U et au Canada, la loi fait que le jugement d’un professionnel ne doit pas être inhibé par le fait qu’il est payé par un autre – ce qui a préséance sur le devoir actuel ou perçu à celui qui paye. C’est une philosophie sacrée.

De plus, on ne devrait pas oublier que les GP portent un « chapeau indépendant » lorsqu’ils exercent certains rôles. Voilà encore un principe bien établi dans la jurisprudence au R-U: la décision d’un GP qui agit, ou est dans l’obligation d’agir, avec un préjugé défavorable, sera annulée. Ici, on veut dire que si la Cour déclare que le GP a décidé quelque chose malgré un préjugé défavorable, sa décision pourra être annulée.

La décision d’un GP s’impose sur tous ceux liés au projet à moins qu’elle ne soit contestée par le Client ou le principal entrepreneur. Dans ce contexte, le GP a intérêt à avancer prudemment.

Face à l’enjeu juridique des projets, comment améliorer la qualité professionnelle des GP ?

Pour arriver à mieux maîtriser cette question, il faut donner à nos GP des compétences légales de base. Il faut identifier les besoins de développement et investir dans une formation spécifique. Une connaissance suffisante des aspects juridiques – tant de l’application pratique que de la théorie – est très rare. En utilisant la Loi pour soutenir ses activités techniques, un GP améliorera son offre personnelle ainsi que celle de son organisation. Par le fait même, il réduira les risques pour son organisation et lui-même. La formation recommandée est un mélange de science de la loi et de l’art de la gestion pratique de projet.

Les lois qui régissent le monde contractuel sont compliquées et changeantes. Ici, l’idée n’est pas de faire des GP des experts légistes, mais plutôt leur offrir une formation de base sur les lois qui régissent le domaine dans lequel ils travaillent. Ce serait pour eux un atout professionnel de choix. Chacun convient que l’adhérence aux lois et aux règles qui gouvernent les qualifications nécessaires pour exercer la profession, contribuent à maintenir la crédibilité de l’association professionnelle et l’estimation de la valeur de la qualification et de l’individu. Pour vous, vos clients et le PMI, cela est très important !

Cinq grands risques légaux pour les GP !

  1. Méconnaissance de ses obligations: le GP doit bien lire la description de sa nomination, en particulier le cadre de service. Il doit aussi se familiariser avec ses devoirs. Par exemple : « inspection », « vérification », « surveillance », « agent du client » etc. Le GP doit rester dans les limites de son domaine, car cela pourrait mettre à risque l’assurance de l’organisation contre la négligence professionnelle. On constate de nombreux problèmes issus d’un manque de temps et de préparation du GP!
  2. Connaissance insuffisante du projet: les GP doivent comprendre leur contrat (où débute et finit le risque, responsabilité en matière, etc) et les éléments moteurs du projet (parties prenantes, nouveautés techniques, réputation de l’organisation, etc.). Un projet démarre bien quand le GP a étudié les biens livrables attendus et les risques (événements clés, conditions du sous-sol, type d’infrastructure, etc.) et a réfléchi sur la manière de soutenir ses parties prenantes (à l’intérieur des limites de sa nomination) pour diriger le projet.
  3. Chaque projet a ses problèmes légaux: nombre d’entre eux peuvent être traités par un chef de projet compétent avec de l’expérience, mais il y en a de plus sérieux. Pendant une période difficile, il est fréquent qu’une partie prenante frustrée remette en question l’indépendance d’un GP ou sa performance. Une allégation de négligence professionnelle est sérieuse et doit être gérée avec précaution par l’organisation et révélée aux assureurs. Néanmoins, même si les allégations sont parfois nombreuses, souvent elles peuvent être résolues avec le soutien d’autres départements internes (dont les affaires juridiques, l’assurance et risque et… une bonne stratégie).
  4. Responsabilité perçue: le GP est le lien entre chaque partie prenante et ses devoirs sont nombreux. En général, un GP ne doute pas sa capacité, mais il faut se rappeler que la réussite du projet ne dépend pas que de lui.
  5. Complaisance et GP expérimenté : les GP expérimentés devraient porter attention à la complaisance: aucun contrat n’est le même dans son écriture ou effet. Aucun projet n’est le même. Il faut connaître ses limitations – par exemple quand parler aux experts. De plus, élargir ses horizons est toujours bon pour l’âme, l’esprit (et le CV)!

Comment les GP peuvent-ils utiliser la loi pour devenir exceptionnels ?

En trois mots: formation, expérience et savoir-faire. C’est la combinaison qui démarque le « bon » GP d’un GP« exceptionnel ». Les associations professionnelles sont une source précieuse de formation, de mentorat et de réseautage. Le PMI veut faciliter le développement de la compétence chez ses membres.

Une formation légale est fortement recommandée. Si les GP deviennent plus habiles dans le droit des contrats et s’ils travaillent ensuite « avec » et à « l’intérieur » de la loi, cela leur donnera un fondement solide pour prendre de meilleures décisions. Les décisions difficiles demandent de la crédibilité et du respect à ceux qui les proposent. Elles seront mieux reçues si elles reposent sur de bons principes légaux (même si la réponse n’est pas celle que vous vouliez !). De même, si les obstacles sont plus rares, les relations et la prestation du projet sont facilitées. Ce qui évite les distractions et le stress du recours à un procédé de résolution. Cette expertise nouvelle conduit à des engagements plus efficaces, contribue à réduire les risques et à améliorer les marges bénéficiaires.

Il est utile d’ajouter d’autres compétences au volet légal. Dans la réalisation des travaux, souvent on suppose que la communication efficace, l’écrit et la négociation sont présents. Avec des formations spécifiques sur ces sujets, il est possible d’améliorer significativement ces capacités. Mon expérience personnelle témoigne que cette combinaison produit des résultats impressionnants et donne aux GP plus de confiance pour gérer et diriger leurs projets.

On le sait, le coût et le temps sont des facteurs inhibiteurs de la réalisation des projets. Néanmoins, pour le GP, s’il veut s’affranchir de ses limites, il est très important d’investir du temps pour se former et s’améliorer. Il bénéficiera de l’application immédiate des concepts acquis dès le retour d’une formation. Ce qui est déterminant pour consolider l’apprentissage et motiver une personne à poursuivre ses progrès personnels.

Difficultés auxquelles la profession fera face dans le futur ?

Les difficultés pour le Canada sont proches de celles du R-U :

  1. les entrées dans la profession ont diminuées. En moyenne, un chargé de projet a 45 ans et est de sexe masculin;
  2. les clients sont plus exigeants, alors les compétences doivent être plus relevées;
  3. la technologie, par exemple le Building Information Modelling (BIM). Au R-U, le niveau 2 – qui a été mandaté en avril 2016 pour gérer les projets gouvernementaux présente un savoir-faire encore incomplet;
  4. le contrat de plus en plus courant, New Engineering Contract – V 3 NEC3, nécessite une forme d’agilité supérieure du GP et une formation sur le sujet est fort recommandée. Au R-U, est très bien établi, mais il subsiste tout de même des problèmes avec leur gestion. Au Canada, cette forme d’entente (NEC 3) commence à faire son chemin et mes efforts sont consacrés à créer des liens entre les entreprises de nos pays sur ce sujet (notamment par la littérature, les présentations ou des conférences).

Encourager les entreprises à s’attaquer à ces difficultés?

Alors que des projets d’envergure nationale (où l’investissement est souscrit par le gouvernement) sont favorisés afin d’encourager une perspective économique à long terme, mon expérience m’apprend que pour le Canada comme le R-U, la planification de la relève et un enjeu important. Ce constat étant amplifié par l’effet d’accélération produit sur les autres secteurs économiques.

Cette dynamique entraîne les organisations à garder leurs employés, mais aussi à les amener à un niveau d’excellence plus élevé. Prenons l’exemple sur les projets ci-dessous qui sont communs à plusieurs juridictions :

  • le financement des apprentis âgés de plus de 16 ans (pour diriger de nouvelles entrées dans la profession);
  • des exemptions fiscales pour soutenir la formation à long terme (qui comprend notamment les compétences légales);
  • des partenariats avec des universités puisque les étudiants apprennent beaucoup au plan théorique, mais ont besoin de voir le côté pratique de l’industrie grâce à des stages.

Les avocats ont-ils un rôle à jouer?

Tout simplement – oui ! Les avocats devraient être vigilants en regard des pressions auxquelles font face les GP et leurs organisations. Ils devraient aider leurs clients (peu importe de quel côté ils sont) à s’assurer que les ressources nécessaires et la prestation prévue sont validées afin que le contrat du projet est écrit correctement et sans des problèmes que le GP devra éventuellement essayer de résoudre, pendant la réalisation du projet. En l’absence de cette précaution, il pourrait bien être trop tard pour résoudre les problèmes facilement et sans frais ou conséquences, alors qu’il aurait été possible de les résoudre avant le commencement du projet !

 Conclusion

Le travail des 12 derniers mois m’a donné une excellente appréciation du fonctionnement intérieur de la profession ainsi que de ses défis. Je suis convaincu de la valeur et la pertinence d’une formation sur les aspects juridiques des projets. Également, que vous, les GP sur le terrain, avec le soutien de vos chefs et du PMI, vous saurez assurer la croissance en qualité de la profession.

 

Présentation de l’auteur

 

Sarah Schütte, LLB (Hons) est une avocate et juriste britannique, spécialisée dans la Loi de la construction et l’ingénierie depuis 2001. Elle a occupé des postes dans des firmes privées d’avocats et travaillée une décennie comme avocate à l’interne au London Underground/Transport for London et  chez WSP|Parsons Brinckerhoff.

À titre de conseillère indépendante, elle a fondée Schütte Consulting Ltd en 2014. Elle travaille avec une grande variété d’organisations anglaises et étrangères pour soutenir la réalisation de leurs projets et, plus spécifiquement, la direction des réclamations. Elle contribue aussi à l’élaboration des stratégies juridiques des projets et conseille la direction quant aux risques et l’assurance reliée aux contrats. Elle offre également des programmes de formation destinés aux gestionnaires de contrats.

Son expérience est surtout axée sur la réalisation de projets: petits ou grands, leur gestion s’appuie sur la confiance et la compétence. Elle pose résolument la Loi en contexte pratique afin d’encourager les chefs de projet à apprendre des principes juridiques qui les aideront à mieux gérer leurs contrats. Dans le domaine de la gestion de projet, Mme Schütte est une conférencière recherchée et a publiée de nombreux articles reliés à la profession.

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